
Andrea Cavazzuti, le photographe italien qui immortalise la Chine des années 1980
Andrea Cavazzuti, surnommé Lao An (Vieux An), a immortalisé, appareil photos et pellicules à l'appui, sa première rencontre avec son pays d’adoption dans les années 1980, en dressant le portrait d'une Chine tour à tour apaisée et effervescente.
« Les photos d’Andrea Cavazzuti montrent comment nous nous sommes libérés de lourds fardeaux avant de mener, avec précaution, pleinement notre vie. » Les mots de l'écrivain chinois Yu Hua, auteur de Vivre ! et Brothers (Actes sud), sonnent aussi justes que touchants. Car le recueil de photos Repos : la Chine 1981 - 84, signé Andrea Cavazzuti, photographe italien qui a passé plus de quarante ans en Chine, retrace la vie des Chinois ordinaires au début des années 1980. Une période charnière pour l'empire du Milieu qui a mis fin aux mouvements politique et social avant de sauter dans le grand bain du capitalisme et de l’économie de consommation.
En été 1981, Andrea Cavazzuti a débarqué en Chine pour suivre une courte formation de chinois à l’Université de Nankin. S’il avait déjà appris la langue de Confucius pendant trois ans à l’Université de Venise, la Chine était pourtant un pays totalement étranger et inconnu pour lui. Car « ce qu’on a appris à l'école, comme les Entretiens de Confucius ou les textes de Mencius, n’avait rien à voir avec la vraie vie en Chine », se rappelle-t-il. D'autant que dans l’imaginaire des Italiens, l'empire du Milieu était notamment connu pour ses ferveurs révolutionnaires. Michelangelo Antonioni, grand cinéaste italien, a sorti en 1972 le film La Chine en dressant le portrait du pays. Pour Andrea Cavazzuti, si le film demeure précieux artistiquement, il n’est pourtant pas dépourvu de limites dans la représentation du pays. Il voulait ainsi montrer, à sa façon, une Chine qu'on a jamais vu.
Cavazzuti à droite - Fudan
Saisir l'essence propre des années 1980 en Chine
Après avoir passé six semaines à l’Université de Nankin, il repart en voyage, emmenant avec lui des centaines de mètres de pellicules pour tenter de capter les images les plus réalistes. Il découvre un pays photogénique : « À l’époque, la Chine disposait d’un environnement plutôt transparent, dans le sens où on étalait tout au grand jour et il était plus facile de capter le côté humain chez les gens. » Pour se fondre dans le décor, l’Occidental a dû pourtant attendre des heures pour sympathiser avec les passants, ou jouer à se déguiser pour ne pas attirer l'attention. Au bout de deux mois de formation estivale, il retourne en Italie, regrettant pourtant de ne pas avoir pu explorer pleinement l'empire du Milieu. Un an plus tard, il remettait les pieds sur le sol chinois, en devenant l’un des quatre boursiers italiens reçus par l’Université de Fudan à Shanghai. Durant ses deux années d’études, il passe beaucoup de temps à voyager, prenant des photos à travers la Chine, de Suzhou à Xiamen, en passant par Sanya, ville interdite d’accès pour les étrangers à l’époque.
« La Chine est un trésor qui me réserve plein d'histoires et de surprises. » Sans chercher le dépaysement ni le raffinement artistique, le photographe n’a été guidé que par la spontanéité. Son objectif n’était pas de s’exprimer ni d’expliquer, mais d'absorber la réalité de son quotidien. C’est le temps qui lui donne raison et du sens aux images qu'il a prises, car quarante ans plus tard, ses photos servent de témoignages précieux d'une époque révolue. Pour Gu Zheng, photographe, curateur et professeur de l'Université de Fudan, Andrea Cavazzuti a saisi l'essence propre des années 1980 en Chine.
À la recherche du temps perdu
Shanghai, 1982
C’est grâce au hasard des choses qu’Andrea Cavazzuti a élu domicile à Pékin. Suite à ses études à l’Université de Fudan, il rentre en Italie pour faire un an de service militaire, avant de trouver un emploi chez Techint, un des plus grands groupes industriels italiens, qui envisageait d'ouvrir un bureau à Hongkong. Andrea Cavazzuti est ainsi devenu le premier employé et représentant en chef du bureau hongkongais de Techint. Intarissable sur la ville portuaire, le sexagénaire se rappelle notamment le dépaysement et la liberté totale en se promenant entre les gratte-ciels et les petites échoppes omniprésentes.
Installé à Pékin en 1990, il se procure une jeep cherokee pour poursuivre sa vie de photographe ambulant. À l’époque, il fréquente également des artistes en herbe qui deviendront plus tard de grands noms dans le monde culturel chinois, tels que l'écrivain A Cheng, la danseuse Jin Xing ou encore le peintre Wang Jianwei. À la fois photographe et vidéaste, il collabore avec les metteurs en scène de théâtre Lin Zhaohua et Liu Liuyi, le réalisateur de documentaire Xu Xing, ainsi que le chanteur Peng Lei. « Les vidéos tournées entre 2000 et 2010 me touchent quelquefois aux larmes. Par rapport à aujourd’hui, il était plus facile d’entrer en contact avec les gens, qui avaient envie d’échanger, de se comprendre et les relations étaient harmonieuses sur tous les plans de la société », s’émeut-il.
Suivre la route nationale 108 pour explorer les confins de la Chine
Cavazzuti a grandi dans une famille monoparentale, portant le nom de famille de sa mère, qui après la naissance d’Andrea, elle n’a pas pu finir ses études universitaires et a dû enchaîner des petits boulots pour joindre les deux bouts. Mais elle avait tout fait pour soutenir son fils dans ses choix, même si ce dernier avait décidé d'apprendre le chinois, une spécialité ayant peu de débouchés professionnels à l'époque.
Alors que ses deux enfants considèrent Pékin pour leur ville natale, Andrea Cavazzuti entretient pourtant avec l’Italie une relation en perpétuelle évolution. Pour lui, l’Italie, qui demeure toujours sa patrie, devient davantage un pays où il passe ses vacances. « Avant, je rentrais en Italie au moins une fois par an, mais aujourd’hui, cela n’est plus nécessaire. » Suite à la mort de sa mère il y a deux ans, il semble avoir trouvé un prétexte pour ne plus retourner dans son pays natal.
À 62 ans, il a encore de nombreux projets à mettre en place : réaliser des documentaires pour disséquer les rapports qu’entretiennent nos vies numérique et réelle, ou suivre la route nationale 108 pour explorer les confins de la Chine. « Si les autoroutes sont devenues omniprésentes, les routes nationales, mises au second plan, desservent pourtant les petites villes et villages, et demeurent un outil idéal pour observer le monde dans lequel nous vivons. En suivant la route nationale 108, qui relie Pékin et Kunming, je pourrais observer de près les rapports entre le numérique et le réel. » Visiblement, le Vieux An n’est pas prêt de s'arrêter.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photos : CNS
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