
Qui est Chizuko Ueno, la féministe japonaise qui enflamme le Web chinois ?
Une féministe japonaise, en tête des recherches sur le réseau social chinois Weibo, fait exploser les records de vues. Derrière la « Chizuko Ueno mania », pointe le désir d’émancipation et de réponses à des interrogations chez les jeunes Chinois, mais aussi l’absence d’une figure féministe locale.
Née en 1948 à Kanazawa du Japon, Chizuko Ueno est une universitaire qui a écrit une centaine de livres pour défendre l'égalité homme-femme, déconstruisant le mythe patriarcal au Japon. Déjà en 2011, son livre Vieillir seule a été traduit en chinois, puis Misogynie, considéré comme son chef d'œuvre, en 2015. La sociologue a gagné une notoriété inégalée chez son voisin chinois grâce à sa leçon inaugurale prononcée à la rentrée 2019 à l’Université de Tokyo, très diffusée sur les réseaux sociaux chinois, l’érigeant au rang d’icône.
Les recherches qu’elle a menées sur le travail gratuit des mères au foyer, ou sur la vie des retraités fournissent des pistes de réponses aux Chinois. Car le pays se met de plus en plus à s’interroger sur ces grands thèmes de société auxquels le Japon s’est lui-même déjà confronté il y a des années. « Ses livres abordent des thèmes aussi divers que variés, alliant solides compétences académiques et analyses accessibles. Les femmes au foyer, les femmes célibataires ou encore les femmes au travail peuvent toutes s’en inspirer pour faire face aux défis de la vie », explique GQ Chine à propos de la popularité de cette Simone de Beauvoir de l’Orient.
Chizuko Ueno s’est même avérée être une véritable mine d’or pour les maisons d’édition chinoises. Rien qu’en 2022, sept de ses livres ont été publiés par différents éditeurs et sont devenus des best-sellers en Chine. Mais c’est son récent échange avec trois jeunes Chinoises dans le cadre de la promotion de son nouveau livre qui l’a propulsée sur le devant de la scène médiatique.
Le 17 février février dernier, un entretien très attendu est organisé par la maison d’édition chinoise Xinxing et la plateforme Bilibili pour faire la promotion de Commencer à partir des limites de Chizuko Ueno. Sans doute pour créer le buzz autour du livre, trois intervieweuses ont été choisies, vivement critiquées pour leurs questions jugées trop banales, médiocres, parfois offensives : « Avez-vous été blessée par des hommes ? », « Votre famille vous a-t- elle fait beaucoup souffrir à l’enfance ? », « Les féministes célibataires sont-elles supérieures à nous, les femmes mariées ? », « Le féminisme peut-il nous aider à résister au mal que nous font les hommes ? »... Étrangement, l’échange, qui en a déçu beaucoup, a provoqué un tollé sur la Toile. En quelques jours, l’événement aura provoqué plus de 90 000 discussions sur Weibo en générant 530 millions de vues !
La polémique, difficile à analyser, reste révélatrice du développement du féminisme en Chine. Pour les uns, « le féminisme chinois se situe dans une phase où nous essayons sans cesse de trouver des modèles à suivre ». Pour les autres, « le féminisme chinois bouge, même si ça se fait lentement ». En effet depuis 2017, l'année où a éclaté le mouvement #Metoo, la vente de livres féministes chinois ou étrangers, comme Kim Ji-young : Born 1982 de la Coréenne Kim Ji-young, Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ou Les Femmes de la base (jiceng nüxing) de la Chinoise Wang Huiling, a explosé en Chine, sans faiblir : Le Consentement de la Française Vanessa Springora, traduit en chinois, est sur le marché depuis début février 2023. Et si Misogynie, le livre phare de Ueno, n’a vendu que 4 000 exemplaires en 2019, 250 000 exemplaires se seraient écoulés jusqu'à aujourd'hui.
Photo du haut : DR.
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