[L'Internet du milieu] « La tunique de Kong Yiji » ou l'inflation des diplômes

1687858195319 Le 9 Hu Wenyan
Kong Yiji, personnage d’une célèbre nouvelle de Lu Xun, fait curieusement parler de lui sur la Toile : le misérable lettré devient désormais la métaphore du désarroi d’une jeunesse chinoise hautement diplmée face aux difficultés de l’emploi.

« Mon diplôme universitaire, censé tre un passeport vers le travail, demeure la tunique dont je ne parviens pas à me passer. » Sibylline, cette phrase, dont on ignore l’origine, a envahi en ce printemps les réseaux sociaux chinois. Elle fait allusion à la dévaluation des diplômes sur fond de ralentissement économique et au désarroi des jeunes diplmés qui connaissent des séries de déboires dans leur recherche d’emploi.

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En effet, la « tunique », c’est l’apparat de Kong Yiji, personnage célèbre sous la plume de l’écrivain chinois Lu Xun (1881-1936). Orgueilleux, misérable, il met un point d’honneur à persister à porter une sorte de chemise longue, symbole du statut social de l'homme lettré de la fin du XIXe siècle, allant jusqu’au pathétique. Il est un pur produit raté du keju, cet antique système des examens impériaux toujours en vigueur et qui permet d’accéder à la bureaucratie de l’Empire, à l’heure où celui-ci est déliquescent et où le monde se modernise. Bref, l’habit symbolise la vanité des lettrés déconnectés de la réalité en Chine. Un siècle après la publication de cette nouvelle, largement enseignée au collège chinois, des milliers de jeunes fraîchement diplômés, et déjà malmenés par le marché du travail en pleine mutation, font preuve d'autodérision en s’identifiant à Kong Yiji. Comme le personnage fictif, ils ont du mal à trouver un poste et un salaire au niveau de leurs études. « Jeune, je ne comprenais rien à Kong Yiji, alors qu’aujourd’hui je deviens son semblable », se désolent-ils en quête de leur place dans la société. Certains médias publics qui les ont repérés sont allés jusqu’à condamner l’attitude de ces jeunes, jugée victimaire et pessimiste. Mais le ton, un brin paternaliste, agace les internautes. Un énième buzz est encore sur le point de devenir un débat national.

En effet, le niveau d'études de la population s'est élevé et le nombre de diplômés du supérieur ne cesse de grimper au pays de Confucius. En 2022, la Chine comptait plus de 10,76 millions de diplômés universitaires, son record historique. Le nombre prévu pour 2023, toujours en hausse, serait de 11,58 millions de diplmés, dans une économie qui tente de récupérer des années Covid. Le pays a enregistré en 2022 une croissance à seulement 3 %, une de ses plus mauvaises performances depuis des décennies. Même le Comité central de la Ligue de la jeunesse communiste chinoise parle de « la saison la plus dure pour chercher un travail dans l’histoire chinoise ». Selon les chiffres publiés en avril par le Bureau des statistiques chinois, le taux de chômage s’élève à 19,6 % parmi les personnes gées entre 16 et 24 ans, dont la moitié concerne des diplômés du supérieur.

Alors faut-il ranger sa tunique pour mieux s’insérer dans le monde professionnel ? Chen Tao, 38 ans, fait partie de ceux qui ont abandonné leurs prétentions : diplme de master en poche, il est devenu en pleine épidémie livreur de repas, après avoir travaillé dans le journalisme et la communication. En partageant ses tribulations professionnelles sur les réseaux sociaux, il a contribué au débat sur la méritocratie à la chinoise. « Mon déclassement est d à un échec aussi personnel que social », juge-t-il, non sans lucidité.


Photo du haut : un étudiant passe devant une affiche de l_offre d_emploi dans le campus Nanhu de l_Université du Nord-Est, le 25 mars 2023 © YANG Qing/Xinhua


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