
« Bai ren fan » ou comment la Chine embrasse peu à peu la cuisine nomade
Les repas sur le pouce, par moquerie appelés « nourriture de Blancs », Bai ren fan en chinois, séduisent pour leur côté pratique, rapide, et bon marché, beaucoup de jeunes travailleurs en Chine.
Un nouveau régime alimentaire fait parler de lui sur le Net dans l'empire du Milieu. Dénommé Bai ren fan, littéralement « nourriture des Blancs » en chinois, il s’agit de repas extrêmement simples, composés d’ingrédients crus, froids et peu variés : céleri cru trempé dans la vinaigrette ; mélange de noix, laitue et fromage dans un bol ; carotte entière et biscuits salés... Sur Weibo, le Twitter chinois, le hashtag #Bairenfan a été visionné plus de cinq millions de fois. Si l’expression relève d’une raillerie bon enfant à propos des sandwichs, salades à emporter et autres plats « nomades » que consomment typiquement certains travailleurs occidentaux, mets souvent considérés par les Chinois comme sans saveurs, force est de constater que cette « nourriture de Blancs », pratique et fonctionnelle, trouve de plus en plus d’adeptes en Chine, dont une majorité de jeunes salariés au rythme de travail intense.
En termes de déjeuner au travail, Chinois et Occidentaux n’ont parfois pas les mêmes habitudes. L’expression est née sur les réseaux sociaux chinois lorsque des salariés chinois, un peu étonnés, se sont amusés à prendre en photo les repas de leurs collègues occidentaux, avant que d’autres Chinois ne montrent qu’ils devaient parfois eux aussi se soumettre au même régime... Des messages qui ont suscité un grand écho auprès de certains internautes, pour qui, « bien manger, c'est atteindre le Ciel », selon le proverbe chinois. Certains voient dans ces déjeuners de vrais « repas de punition » destinés à garder en vie plus qu’à savourer un aliment. Mais si certains récusent cette nourriture qui « ne donne même pas envie aux lapins », d’autres n’ont pas hésité à explorer cette mode pour manger des aliments sains, peu caloriques et pas chers. Sous l’impulsion de salariés habitués aux heures supplémentaires et manquant cruellement de temps pour cuisiner, la « nourriture de Blancs » est en passe de devenir la nouvelle tendance chez les jeunes générations chinoises. Ainsi sur Little Red Book, étoile montante des réseaux sociaux chinois, des utilisateurs partagent volontiers des recettes qu’ils labellisent « Bai ren fan » tout en défendant un mode de vie minimaliste. Plusieurs hashtags dérivés du #Bairenfan, non sans dérision, ont vu ainsi le jour, comme « la nourriture de Blancs compte » ou encore « soutien à la nourriture de Blancs ».
Derrière cet humour absurde, une réalité pourtant bien amère : selon le Rapport de la vie des cadres chinois de 2019, publié par le site de recrutement Zhaopin, plus de 60 % des cadres disposent d'un budget de moins de 20 yuans, soit 2,54 euros, pour leur déjeuner. « Je n'ai plus besoin d'aller à la cantine ni de commander de repas à domicile. Une tomate, un abricot, un pot de yaourt, une tranche de pain, une simple boîte de crevettes, et un peu de saumon, c'est déjà suffisant pour les petit-déjeuner et déjeuner tout compris. En cinq minutes maxi ! » Ce commentaire d’un internaute chinois résume parfaitement les raisons du succès inattendu de la nourriture nomade. Bien sûr, ces discussions n'ont pas manqué de faire réagir les médias occidentaux. Le journal britannique The Guardian avait même consacré en juin dernier un article sur cette nouvelle tendance, relevant, à juste titre, le stéréotype derrière l’expression Bai ren fan. Car en effet, si le sandwich froid est une option de déjeuner rapide et facile, les Occidentaux ne consomment pas que ça. Et le média chinois Jiemian, d’en rajouter : « Les Chinois ne mangent pas de raviolis tous les jours non plus ».
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