
Huang Guangguo, le chercheur qui a « sinisé » la psychologie
Peng Kaiping, doyen de la Faculté des sciences sociales de l'Université Tsinghua et initiateur de la psychologie positive en Chine, rend ici hommage à ce fondateur de la psychologie indigène chinoise, mort en juillet dernier à l’âge de 78 ans.
Huang Guangguo, professeur honoraire du département de psychologie de l'Université de Taïwan, est mort le 30 juillet dernier à l'âge de 78 ans. Promoteur d’une psychologie indigène « chinoise », Huang Guangguo prônait une fusion des cultures orientale et occidentale, mais en utilisant la philosophie scientifique occidentale comme base pour développer une psychologie sociale plus « locale ». Ses travaux ont eu un impact majeur dans le monde académique des deux côtés du détroit de Taïwan.
Son ami de longue date, Peng Kaiping, doyen de la Faculté des sciences sociales de l'Université Tsinghua et initiateur de la psychologie positive en Chine, explique comment la disparition soudaine de Huang Guangguo signifie une grande perte pour le monde intellectuel des deux côtés du détroit. Huang Guangguo a toujours cru fermement en la différence essentielle entre la psychologie issue de la culture orientale et celle issue de la culture occidentale. Ses études sur les valeurs sociales des Chinois sont inégalées dans tout le domaine sinophone. (Peng Kaiping est professeur au département de psychologie. Il a précédemment enseigné au département de psychologie à Berkeley, en Californie. Depuis 2015, il est considéré comme l'un des psychologues chinois les plus reconnus).
Comment avez-vous fait la connaissance de Huang Guangguo ?
Lorsque j'enseignais à l'Université de Californie à Berkeley, je travaillais dans le domaine de la psychologie culturelle. Cette recherche se divise en psychologie indigène, psychologie ethnique et psychologie interculturelle, chacune ayant de nombreux sous-domaines. Pendant mes études à l'Université de Pékin et pendant mon doctorat à l'Université du Michigan, j'ai lu de nombreux ouvrages de Huang Guangguo sur la psychologie indigène. En tant que Chinois, j'ai été particulièrement impressionné par ses études sur la psychologie culturelle des Chinois.
La véritable première rencontre a eu lieu après que j'ai commencé à enseigner à l'Université de Berkeley. J'ai été invité par l'Academia Sinica à Taïwan pour mes recherches. Les personnes qui m'ont invité étaient Yang Guoshu et Huang Guangguo. Ils étaient également très heureux de voir qu’un Chinois enseignait dans une université américaine, à Berkeley. Ils pensaient que j'étais le premier Chinois à enseigner la psychologie dans une université prestigieuse aux États-Unis. Ils m'ont donc contacté et m'ont invité à Taïwan, et c'est ainsi que notre relation a commencé.
Huang Guangguo était une personne très bavarde, chaleureuse et extravertie. Lorsque j'ai été invité à donner des conférences à Taïwan, il venait me parler tous les jours. Son style était audacieux et décontracté, plein de confiance en lui, et nous avions une excellente relation.
J’ai eu peu d'occasions de recevoir Huang Guangguo à Tsinghua, après avoir rejoint l'Université Tsinghua à Pékin, mais j'ai toujours suivi son travail. J'ai été particulièrement touché et enthousiaste lorsqu'il a pris position pour condamner fermement Chen Shui-bian et d'autres partisans du séparatisme.
En quoi la philosophie de Huang Guangguo est-elle unique ? Quelle est sa valeur dans le domaine de la recherche en psychologie ?
Huang Guangguo a toujours fermement cru que la psychologie dans la culture orientale était très différente de celle de la culture occidentale. Les trois bases culturelles de la Chine, à savoir le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, font en grande partie que la psychologie des Chinois est toujours intimement liée à la société et à la culture. Ceci est très différent de la psychologie culturelle individualiste de l'Occident.
Par exemple, pour comprendre la psychologie d'un Chinois, il ne suffit pas de connaître la personne elle-même, il faut aussi comprendre ses relations interpersonnelles et l'environnement socioculturel dans lequel elle évolue. Mais pour comprendre un Américain, il suffit d'écouter sa propre présentation, car les Américains mettent l'accent sur les caractéristiques individuelles, les particularités et les différences.
Huang Guangguo estimait que la plus grande différence entre les psychologies orientale et occidentale résidait là. C'est pourquoi il a introduit la notion de psychologie indigène, en tenant compte de l'histoire culturelle et de l'environnement de la société dans laquelle on se trouve, pour étudier la psychologie d'un groupe, en préconisant d'utiliser la culture chinoise pour aborder les problèmes de psychologie.
Contrairement à lui, je mène des recherches interculturelles. Je crois que les psychologies humaines ont de nombreux points communs, c'est pourquoi elles peuvent être comparées. J’estime qu’il faut essayer de trouver les mécanismes et les caractéristiques psychologiques communs à l'humanité et rechercher les différences sous ces caractéristiques communes.
Par exemple, en étudiant le thème de l’amour, je m’efforce de chercher les manifestations de l'amour, ses formes, catégories, forces et effets. C'est le type de sujet commun qu'il faut chercher pour effectuer une comparaison interculturelle. Mais Huang Guangguo estimait que l'amour des Chinois et celui des étrangers représentent deux états et expériences complètement différents, deux concepts si distincts qu'ils ne peuvent être comparés. Il étudiera ainsi en profondeur les origines et les caractéristiques de l’expression de l'amour chez les Chinois de manière adaptée à cette culture. C'est pourquoi la plupart de ses articles en anglais se concentrent sur la psychologie chinoise. Dans ce domaine de recherche, il est sans égal. De nombreux chercheurs étrangers travaillant sur des études interculturelles portent une attention particulière à son travail, en particulier ceux qui s'intéressent aux comparaisons psychologiques entre les cultures chinoises et étrangères.
Comment cela est-il illustré dans ses écrits ?
Huang Guangguo, suivant les enseignements de son mentor Yang Guoshu, s’est basé sur la philosophie scientifique et a activement prôné une fusion des cultures chinoises et occidentales, poussant le mouvement vers une « localisation » des sciences sociales.
Dans son livre Connaissance et action : une interprétation psychosociale des traditions culturelles chinoises (Huang Guangguo, 1995), il réinterprète la tradition culturelle chinoise à travers une perspective de psychologie sociale. Il souligne clairement que le point d'attention fondamental des cultures occidentale et chinoise est différent : alors que la culture occidentale valorise le plus la philosophie de la connaissance, la culture chinoise traditionnelle se concentre sur la sagesse de l'action.
Il a ainsi établi le modèle théorique appelé « Humanité et Visage » (Huang la considère comme l'œuvre maîtresse de sa carrière académique). Il a analysé la structure interne de la pensée confucéenne, a ensuite mené une analyse méta théorique des recherches précédentes sur la pensée morale chinoise, puis a déterminé les caractéristiques de l'éthique confucéenne du point de vue de l'éthique. Prenant comme prémisse le "relationnisme", il a élaboré une série de micro-théories pour clarifier davantage les concepts de l'échange social, de la face, de la motivation à la réussite, du comportement organisationnel et des stratégies de conflit dans la société confucéenne, et les a utilisées pour intégrer les recherches empiriques pertinentes.
Quelle est la position de Huang Guangguo dans les discours touchant à la psychologie dominés par le monde occidental ?
Huang Guangguo a passé une dizaine d'années à rédiger le livre La Voie de la science sociale. Selon ce livre, un jeune chercheur qui souhaite innover dans son domaine de recherche doit d'abord comprendre les fondements philosophiques des sciences naturelles et des sciences sociales. Il a ensuite plaidé pour et créé l'Association asiatique de psychologie culturelle et locale. L'objectif était de s'appuyer sur la philosophie scientifique occidentale pour établir une théorie de la psychologie locale et d'étudier la psychologie des personnes dans des sociétés modernes à travers le monde. C'est-à-dire que pour lui, l'objectif des pays non occidentaux, en promouvant la « localisation » de la psychologie, était de mener une révolution scientifique contre la psychologie dominante occidentale (Evenden & Sandstrom, 2011).
Quelle est la pertinence des recherches locales de Huang Guangguo pour le développement actuel de la recherche en psychologie en Chine ?
Tout au long de sa vie, Huang Guangguo a travaillé d'arrache-pied et n'a jamais cessé d'écrire. Il a publié de nombreux ouvrages et plus d'une centaine d'articles académiques en chinois et en anglais. Ce qui est particulièrement louable, c'est qu'il a été le premier à combiner la psychologie avec la culture traditionnelle chinoise. Il a publié de nombreux articles sur les relations entre la pensée confucéenne et la psychologie sociale, ouvrant une nouvelle voie pour la psychologie des Chinois et la recherche en sciences sociales dans d'autres pays en développement.
En plus de ses publications, Huang Guangguo a également participé activement à divers dialogues académiques et échanges internationaux. Il a constamment donné des conférences, éclairant ses collègues et les générations suivantes. Ses travaux sur les particularités uniques des Chinois en matière d'émotions, de « face », de personnalité et de caractère, ainsi que les valeurs sociales des Chinois, sont inégalés dans l'ensemble de la communauté sinophone, se distinguant clairement. Le monde académique des deux côtés du détroit est extrêmement concerné par son travail, car il aide les Chinois à mieux comprendre leurs propres caractéristiques psychologiques culturelles.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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