
« Momo », le profil utilisateur tendance pour naviguer sur le net anonymement
Une image de dinosaure rose en avatar et « momo » en guise de pseudo. Derrière ce profil utilisateur omniprésent sur le Net chinois, se cachent des centaines de milliers de jeunes. L’objectif : se fondre dans la masse et surfer incognito, tout en revendiquant la protection de sa vie privée et une liberté de ton.
L’avatar de profil est craquant : un mignon petit dinosaure rose, au visage rond illuminé par un blush rose foncé, avec deux petites pattes potelées. L’animal, généralement affublé du pseudo « momo », a inondé les réseaux sociaux chinois, de Douban à Weibo en passant par Little Red Book. Il est partout – en atteste sa géolocalisation affichée publiquement par les réseaux sociaux chinois (obligatoire selon la loi chinoise) –, commente tous les sujets, se querelle avec des inconnus en ligne : des centaines de milliers d'internautes qui adoptent à dessein, ou par mégarde, un même profil.
À l'origine, « momo » est un des profils utilisateurs attribués par défaut lorsque l'internaute crée un compte sur des applications comme Douban et Little Red Book via son compte WeChat. Mais aujourd'hui de plus en plus de jeunes modifient délibérément leur profil en « momo ». Pour eux, c'est une sorte d'uniforme-carapace qui leur permet d'être anonyme et d’éviter des jugements malveillants ou des attaques personnelles. « L'identité "momo" représente un atout pour faire face à des atteintes à la vie privée en ligne », témoigne ainsi un internaute.
Si on ne dispose pas de statistiques précises concernant la taille de cette communauté, la popularité du « groupe momo » sur Douban donne un aperçu de l’ampleur du phénomène. En un an, le nombre de membres nommés momo a bondi de moins de 1 000 à presque 12 000 aujourd’hui. Des profils dérivés, tels que « momo qui fait du potin », « momo au régime » ou encore « momo en préparation d'examen » ont également fait surface. Au début de l’année, l'acteur Chen Feiyu a porté plainte pour calomnie et diffamation à l'encontre de plusieurs internautes dont un certain... momo. De quoi provoquer un mouvement de soutien, mi-sérieux mi-badin : de nombreux internautes ont changé de profil et sont devenus « momo » pour tenter de brouiller les pistes et protéger leur condisciple.
Comme chaque internaute possède une adresse IP propre à son réseau, il n’existe théoriquement pas d’anonymat sur Internet. Se fondre dans la masse des « momo » donne néanmoins l’illusion de l’anonymat et suscite chez les internautes un sentiment d’appartenance. Ces derniers se sentent ainsi plus à l’aise pour s’exprimer et vider leur vase émotionnel sans crainte. Pour Zhao Wei, chercheur de l’Académie des sciences sociales de la province du Jiangsu, l'émergence de ce nouveau mode d'expression serait liée à une certaine méfiance envers l'environnement dans lequel se forme l'opinion publique. « Les gens ont peur de dire des sottises qui leur causeraient des ennuis, voire de la haine chez des internautes inconnus », explique- t-il. Une inquiétude bien réelle, en témoigne le sort tragique de Zheng Linghua, jeune femme de 24 ans, qui s’est donné la mort en janvier dernier après avoir été attaquée en ligne pour ses cheveux bleus. L’affaire, loin d’être isolée, a provoqué un sursaut de conscience sur les cyber violences parmi la jeune population.
Sauf que certains « momos » se laissent ainsi emporter par des émotions négatives en diffusant sans scrupule propos vindicatifs et remarques cinglantes, comme moyen de décompression. Le défi serait donc « de trouver un équilibre entre la liberté d’expression et le respect des droits d'autrui », selon le Quotidien du Peuple, qui suit aussi de près ce nouveau phénomène...
Photo : DR.
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