
L’artiste Chang Shana, digne héritière de l'art de Dunhuang
Fille de
l’artiste Chang Shuhong, fondateur des études de Dunhuang, Chang Shana marche
sur les pas de son père tout en creusant son sillon. Elle développe une
création personnelle en s’inspirant des motifs recouvrant les grottes de
Dunhuang.
Née en 1931 à Lyon, Chang Shana - dont le prénom est la traduction du fleuve Saône en chinois - est davantage connue en tant que la « jeune fille de Dunhuang ». Dans le sillage de son père Chang Shuhong, surnommé le « Saint patron de Dunhuang » et fondateur des études de Dunhuang, elle a aussi consacré une grande partie de sa vie à faire connaître la richesse de l’art de Dunhuang.
Aujourd’hui, du haut de ses 92 ans, Chang Shana,
conceptrice du plafond du Grand Palais du peuple et ancienne présidente de l’Académie centrale de
l’artisanat, plonge souvent dans ses souvenirs lointains, entre la France et le
Dunhuang, la guerre de résistance et la libération… Un passé personnel qui fait
écho à l’Histoire chinoise avec un grand H.
De Lyon à Dunhuang
Au début du
XXe siècle, une génération de jeunes
artistes chinois, en quête d’inspiration et de nouvelles idées, débarque en
France. Chang Shuhong fait partie de cette troupe bouillonnante. Il fréquente à
l’époque Lv Sibai, Wang Linyi, Liu Kaiqu, Xu Beihong, ainsi que d’autres grands
noms de la peinture moderne chinoise. En 1931, l'année où explose la guerre
sino-japonaise, Chang Shuhong, alors élève à l'École nationale spécialisée
des Beaux-arts de Lyon, et sa femme Chen Zhixiu, viennent d'avoir leur premier
enfant. Originaire de Hangzhou, Chang Shuhong avait l'habitude de peindre au
bord du lac Xihu durant son enfance et adolescence. À l’image de sa ville
natale, Lyon est également traversée par de nombreux cours d'eau dont la Saône,
que Chang Shuhong emprunte le nom pour nommer sa fille aînée Saône Chang, ou
Chang Shana en chinois. La famille Chang déménage ensuite à
Paris. Chang Shana parle donc seulement
français avant son retour en Chine à l’âge de six ans en 1936, alors que son
père décide d’entreprendre des études sur le site de Dunhuang et ses 550
grottes bouddhiques.
À 12 ans, avec sa mère et son frère cadet, elle déménage à Dunhuang pour rejoindre son père, qui vient de fonder l’Institut des études de Dunhuang en se mettant à protéger les héritages des grottes Mogao. Depuis, la vie de Chang Shana est liée à jamais à Dunhuang, sa ville natale spirituelle et son berceau artistique. « J'avais un parcours scolaire tout à fait original, car depuis toute petite mes devoirs consistaient à apprendre l'art de Dunhuang », se souvient-elle. Ses premières années dans la ville oasis sont pourtant jonchées d'obstacles et d'épreuves, notamment après que sa mère ait quitté la maison sans prévenir personne en 1945, sans doute du fait des conditions de vie extrêmement dures et de la solitude. Un choc émotionnel dont elle ne se remettra jamais. Cela explique également cette complicité inégalée qu’elle entretient avec son père. Depuis lors, elle marche sur les pas de son paternel : imiter les peintures murales des grottes, apprendre l’art de Dunhuang…
Carrière brillante dans l’artisanat et le design
En 1948,
Chang Shana part étudier aux États-Unis et intègre l’École des Beaux-Arts de
Boston. Elle y suit une formation structurée en dessin, couleur, design, voire
anatomie humaine. À son retour en Chine, elle fait la connaissance en 1951 de
Liang Sicheng et de Lin Huiyin, un couple d’architectes connus de l’époque.
Grâce à cette rencontre, elle bifurque vers l’artisanat et le design,
travaillant en tant que professeur adjoint au Département de l’architecture à
l’Université Tsinghua, qui deviendra au milieu des années 1950 une des
universités chinoises les plus prestigieuses dans l’artisanat et le design.
Elle rejoint en 1956 l’Académie centrale de l’artisanat, une école d’art
fraîchement créée et y occupe le poste de présidente de 1983 à 1998. C’est
ainsi qu’elle sort peu à peu de l’ombre de son père, en construisant son propre
chemin. En effet, alors que Chang Shuhong demeure l’un des précurseurs dans la
préservation des héritages et de l’art ancien chinois, elle se spécialise en
art appliqué comme l’artisanat ou la décoration. Discrète, elle est pourtant
cheville ouvrière de plusieurs projets majeurs dans l’histoire moderne de la
Chine, tels que la conception du plafond du Grand Palais du peuple, inspiré du
motif de lotus à huit pétales ponctué de perles découvert dans les grottes de
Dunhuang. Si la statue de la fleur du Bauhinia, dressée sur la place du
Bauhinia dorée à Hongkong a été signée par l’Académie
centrale de l’artisanat, c'est pourtant Chang Shana qui a réalisé le projet de A à Z.
Humble et discrète, Chang Shana préfère mettre en avant le travail collectif.
Loin des projecteurs, la créatrice se voit aujourd'hui propulsée sur le devant
de la scène, alors que la « Dunhuang mania » bat son plein dans l'empire
du Milieu.
En 2014, « La beauté éternelle de Dunhuang », l'exposition sur les recherches et l'application
de l'art de Dunhuang de Chang Shana a été inaugurée à Pékin. À travers des
reproductions des fresques de Dunhuang faites depuis son adolescence, des
croquis et des objets d’art créatifs, le public a été invité à redécouvrir
l’art de Dunhuang à travers ses motifs. En mai 2016, l’Atelier de conception et
de recherche sur les motifs de Dunhuang de Chang Shana a été lancé à l’Académie
de Dunhuang.
Si la Chine s'intéresse de plus en plus à la place de Chang Shana, c’est aussi parce que les arts anciens et les applications des motifs dans le quotidien sont remis en valeur au sein de la société. Suivre le fil de la vie de Chang Shana, c’est non seulement traverser un grand bout du XXe siècle aux côtés d’artistes et créateurs légendaires qui ont marqué l’histoire chinoise, mais c’est aussi sentir le cœur battant de la Chine aujourd’hui.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : photo de famille à Kunming - 1939. DR.
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