
La « YuHua Mania », ou l’antidote à l’angoisse existentielle de la jeunesse chinoise
Yu Hua, l’un des grands noms de la littérature contemporaine chinoise, réussit à déconstruire, à coup de plaisanteries et d’anecdotes, des maux sociaux touchant de plus en plus de jeunes chinois. Grâce aux réseaux sociaux, l’auteur de Vivre ! s’impose malgré lui comme une icône auprès de la nouvelle génération.
« J'ai simulé des maladies pour sécher des cours », « le premier jour de travail, j'étais en retard de deux heures et je n’ai eu aucun problème, preuve que mon job merveilleux », « j'ai choisi de devenir écrivain pour pouvoir faire la grasse matinée », « mon objectif ultime est de ‘tangping’ ! »...
Un florilège de déclarations décalées circulant sur le Net chinois qui peut faire penser à des blagues de stand-up loufoque. Mais non, il s'agit de bribes de conversation de Yu Hua, écrivain majeur de la scène littéraire chinoise et l’un des romanciers chinois les plus traduits en France. Ces derniers temps, l'écrivain contemporain de 63 ans se voit propulsé sous le feu des projecteurs non pas pour ses œuvres mais pour ses interventions numériques hilarantes et déjantées.
Si ses
écrits abordent souvent des sujets sombres tels la violence ou la misère - ce
qui lui vaut d’ailleurs d'être surnommé « l’écrivain de la souffrance » dans le
milieu littéraire chinois -, l'homme s'avère être badin et jovial au quotidien,
capable de faire rire son public avec des propos impertinents voire insolents.
Selon le magazine chinois Sanlian Weekly, pendant deux ans, du novembre 2021 au novembre 2023, le hashtag #YuHuafaitrire figure à une quarantaine de reprises parmi les hashtags les plus populaires sur le réseau social chinois Weibo. Considéré par des jeunes internautes comme leur « porte-parole », « mentor », voire « thérapeute », il se voit même attribuer un surnom affectueux : « petit chien à poils en bataille », dû à une ressemblance physique inattendue entre l’écrivain et l’animal domestique. Le phénomène a fait couler beaucoup d’encre et interroge l'état d'esprit de ses jeunes disciples, souvent tiraillés entre angoisse et quête de reconnaissance de la part des aînés.
La «
YuHua Mania » a pris feu de manière fortuite. En septembre 2021, un discours que
l’écrivain a donné lors du forum sur la littérature orientale qui s’est tenue en
Italie en 1998 a refait surface sur le Net chinois. Interrogé sur le déclic qui
l'a conduit à écrire, Yu Hua avait justifié son choix par la tentation de la
paresse et un sentiment de jalousie : « Dentiste,
je travaillais 8h par jour, alors que les employés du centre culturel de ma
ville ne faisaient que s'amuser. Un travail dont je rêvais ! Je me suis donc
lancé dans l’écriture pour intégrer ce centre culturel ». La réponse
mi-absurde mi-potache, sans être donneur de leçon, tranche avec l’image qu'on a
souvent d’un grand écrivain sérieux distant et studieux. Sa liberté de ton et
les effets de contraste ont suscité l'intérêt et la curiosité des jeunes chinois.
D’autant qu’au moment où a fait rage en Chine le phénomène Tangping - rester à plat sans désir ni revendication -, Yu Hua, un
« allongeur à plat » avant l’heure est devenu malgré lui porte-parole de la
nouvelle génération.
Ses anciens propos impertinents ont été ensuite déterrés et scrutés à la loupe. On découvre un écrivain souvent en roue libre durant les interviews. En témoigne quelques unes de ses interventions :
- Qu'est-ce qui distingue des écrivains chinois et français ? « Un écrivain français écrit en français et un écrivain chinois écrit en chinois. »
- Pourquoi privilégier un style d'écriture simple ? « Parce que je ne connais pas beaucoup de caractères chinois. »
Il ne s’empêche pas non plus d’utiliser de gros mots de temps en temps, notamment pour exprimer son admiration pour son ami Mo Yan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2012.
Yu Hua a pu trouver une seconde jeunesse, notamment grâce à l’empathie et à la compassion dont il a fait preuve à l’égard de la nouvelle génération, malmenée tour à tour par le rythme de travail effréné, les confinements ainsi que le marché de l'emploi qui tourne au ralenti. Son plus grand mérite : ne jamais donner de leçon.
Contrairement à nombre de discours dominants ancrés dans la société chinoise, il relative la valeur travail - « tous les efforts n'apportent pas de résultats » -, et garde ses distances avec la culture de la souffrance - « rien ne mérite que vous souffriez ». Même si Yu Hua n’a pas de formule magique pour accéder au bonheur, ses propos sonnent comme une consolation pour les jeunes au fond de l'impasse. « Il suffit que Yu Hua partage ses sentiments, crie à l’injustice ou fasse preuve de compassion pour que sa franchise et sa joie de vivre soient entendues et estimées », juge Sanlian Weekly.
Photos : Dr.
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