[Dossier] La Chine sur la balance : enjeux de santé face au surpoids

1702375549210 Le 9 Jennifer Li
En parallèle d’une croissance économique fulgurante, un autre phénomène s’est développé en Chine, de plus en plus visible et préoccupant : l'augmentation du surpoids et de l'obésité au sein de sa population. Longtemps associée à une image de minceur et à une alimentation traditionnelle équilibrée, la Chine fait face aujourd'hui à un virage sanitaire majeur. Comment ce phénomène s’explique-t-il ? Quelles conséquences le surpoids et l’obésité ont-ils sur la population, mais aussi sur l’économie du pays ?

« Tu as grossi » (ni pangle). En Chine, où il est chose commune de commenter ouvertement la morphologie de ses amis et de ses proches, de plus en plus de gens s’entendent dire ces trois mots. En effet, plus d’un Chinois adulte sur deux serait considéré comme étant en surpoids, selon un rapport de la Commission nationale de la Santé, publié en 2020. Un pourcentage qui a plus que doublé en 20 ans, puisque « seulement » moins de 25 % de la population adulte chinoise était en surpoids en 2002. Un fléau social qui continue d’augmenter, et qui touche une population de plus en plus jeune, près de 20 % des enfants et adolescents gés de 6 à 17 ans ayant été recensés en 2020 comme étant en surpoids ; chez les enfants de moins de 6 ans, un sur dix est trop gros pour son âge. L’Organisation Mondiale de la Santé définit le surpoids et l’obésité chez l’adulte comme suit : « il y a surpoids quand l’IMC est égal ou supérieur à 25 ; il y a obésité quand l’IMC est égal ou supérieur à 30. » L’IMC, ou Indice de Masse Corporelle, se calcule en divisant le poids (en kg) par le carré de la taille (en mètres). Par exemple, quelqu’un qui mesurerait 1,74 m et pèserait 60 kg aurait un IMC de 60/1,742 = 19,8 (kg/m2).

S’il n’est pas forcément l’indicateur le plus représentatif de la masse graisseuse de chaque individu, l’IMC permet d’avoir une référence mondiale, quand on parle de surpoids et d’obésité, ce qui est pratique, notamment, dans l’établissement de statistiques. « L’IMC est la mesure la plus utile du surpoids et de l’obésité dans une population car, chez l’adulte, l’échelle est la même quels que soient le sexe ou l’âge du sujet, explique l’OMS. Il donne toutefois une indication approximative car il ne correspond pas forcément au même degré d’adiposité d’un individu à l’autre. » Pour les enfants, en revanche, il faut tenir compte de l’ge pour définir le surpoids et l’obésité, l’IMC étant à comparer avec un IMC de référence par tranche d’âge.

La classification chinoise diffère quelque peu de celle de l’OMS : en Chine, un IMC considéré comme normal est égal ou supérieur à 18,5 et inférieur à 24 ; une personne est considérée en surpoids si elle a un IMC égal ou supérieur à 24 et inférieur à 28, et obèse si elle a un IMC supérieur ou égal à 28.

Si l’on applique les statistiques du rapport de la Commission nationale de la Santé publié en 2020 au recensement de la population chinoise, plus de 700 millions de Chinois seraient aujourd’hui considérés comme étant en surpoids ou obèses, soit un peu moins de 10 fois la population totale de la France.

Et tous les Chinois ne sont pas égaux face au risque de surpoids ou d’obésité, selon une étude parue en aot dans la revue médicale Diabètes, Obésité et Métabolisme. Intitulée « Prévalence de l'obésité et des complications associées en Chine », elle a été menée auprès de 15,8 millions d'adultes chinois dans 243 villes par une équipe de recherche du Premier centre médical de l’Hpital général de l’Armée populaire de Libération de Chine et dirigée par le professeur Mu Yiming.

© LIU Chan/Xinhua

Une prévalence par genre

Selon cette étude, la surcharge pondérale et l'obésité toucheraient davantage les hommes que les femmes (respectivement 41,1 % contre 27,7 %, et 18,2 % contre 9,4 %). Le taux de personnes en surpoids atteint son pic entre 50 et 54 ans chez les hommes et reste inchangé entre 55 et 59 ans, alors que chez les femmes, la plus grande prévalence à la surcharge pondérale intervient plus tard, entre 65 et 69 ans. Si la prévalence du surpoids et de l'obésité avait historiquement été plus élevée chez les femmes que chez les hommes chinois, cette tendance s'est inversée au cours de la dernière décennie.

Interrogé par le quotidien China Daily, Wu Xueyan, professeur au département d'endocrinologie de l'hôpital Peking Union Medical College, explique cette différence par le fait, notamment, que « Les hommes ont souvent recours à des modes de vie malsains tels que la consommation d'alcool et la suralimentation pour soulager leur stress ». Il est aussi davantage accepté par la société chinoise d’avoir de l’embonpoint lorsqu’on est un homme que lorsqu’on est une femme. En effet, avoir la peau blanche, paraître jeune, et être mince (« 白幼瘦 », bai you shou) sont, culturellement, des critères sur la base desquels la beauté féminine est toujours évaluée en Chine.

Une alimentation trop riche

L’étude parue en août dernier montre également que les habitants du nord de la Chine sont plus enclins à tre en surpoids et obèses que ceux du sud. Une prévalence qui s’expliquerait par une différence importante de régime alimentaire, selon Huang Jian, médecin en chef de l’Hpital Dongfang de Université de médecine chinoise de Pékin : « Les habitants du nord de la Chine mangent beaucoup de pain et de nouilles, des aliments qui font beaucoup grossir », explique-t-il sur la plateforme de partage de vidéos Bilibili, ajoutant que la nourriture du nord utilise beaucoup de sel et de sucre, tandis que celle du sud est bien plus légère. Mais si elle varie quelque peu selon les régions, c’est bien l’alimentation qui est en grande partie responsable, en Chine, de cette prise de poids généralisée au sein du pays. « Des changements substantiels dans les habitudes alimentaires ont eu lieu en Chine, avec une consommation accrue d'aliments d'origine animale, de céréales raffinées et d'aliments hautement transformés, riches en sucres et en graisses », rapporte un article sur « L’Épidémiologie et les déterminants de l'obésité en Chine », paru en juin 2021 dans la revue scientifique médicale The Lancet.

À titre d’exemple, en 1982, les Chinois consommaient en moyenne, 13 kg de viande par an, selon l’association Réseau Action Climat ; le bœuf portait alors le surnom de « viande du millionnaire ». Aujourd’hui, la viande est « passée de produit de consommation exceptionnel à une composante de l’assiette quotidienne », affirme l’association, qui indique que les Chinois mangeraient maintenant, en moyenne, 63 kg de viande par an.

De même, le développement rapide du pays a amené avec lui l’apparition de plus en plus de variétés de snacks, de chaînes de fast-food, de boulangeries-pâtisseries ou encore de magasins de boissons sucrées (bubble tea et autres), qui sont, qui plus est, disponibles à la livraison. Avec plus de 5 billions d’utilisateurs, les applications telles que « 美团外卖 » (« Meituan Ventes à emporter ») ou encore « 饿了吗 » (Elema, « Avez-vous faim ? »), les équivalents de « Uber eats » pour la Chine, ont généré en 2022 plus de 11 000 milliards de yuans de chiffres d’affaires, soit environ 1 400 milliards d’euros, selon le Centre d'information du réseau Internet chinois.

Cette tendance témoigne du mode de vie de plus en plus sédentaire des Chinois, qui n’ont plus besoin de se déplacer pour faire leurs courses ou encore pour faire du shopping, tout se faisant désormais en quelques clics sur leurs téléphones portables.

Un mode de vie de plus en plus sédentaire

Un sondage rapporté par le média d’État chinois CCTV révèle que seulement environ 40 % des Chinois interrogés pratiquent une activité sportive durant leur temps libre, alors que plus de la moitié d’entre eux choisissent de se divertir via leurs téléphones mobiles.

« Je suis tellement occupée par mon travail que dès que je finis, j’ai juste envie de rentrer chez moi et de m’allonger, confie Wang Hong, employée au sein du quartier des affaires de Pékin. Je dois souvent faire des heures supplémentaires, je n’ai pas le temps d’aller faire du sport, ajoute la jeune femme de 32 ans. Aujourd’hui en Chine, la plupart des jeunes font du 9-9-6 (ndlr : travaillent de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours par semaine), on n’a qu’une envie après le travail, c’est de « s’allonger à plat » (ndlr : « tang ping », une expression devenue à la mode ces dernières années). »

Pour la jeune femme, le manque de pratique sportive des adultes d’aujourd’hui pourrait également s’expliquer par l’absence d’activité physique des enfants qu’ils étaient hier : « Nous n’avons pas pris l’habitude de faire de l’exercice lorsque nous étions jeunes, explique Wang Hong. Durant notre adolescence, on passait tout notre temps à étudier. À part les cours de sport à l’école, on n’avait que très peu de temps pour faire de l’exercice. »

Un constat encore d’actualité, et peut-être même plus amplifié encore pour les enfants de l’époque actuelle, les nouvelles générations étant soumises à une pression scolaire encore accrue pour se démarquer des autres, et obtenir un bon score à leur gaokao (équivalent du baccalauréat) pour espérer avoir un bon travail plus tard. Et en grandissant dans une ère plus développée que celle des anciennes générations, disposant d’une alimentation bien plus riche, et élevés par des parents qui souffrent parfois eux-mmes de surcharge pondérale ou d’obésité, de plus en plus d’enfants et d’adolescents chinois sont en surpoids voire obèses.

Selon le « Livre bleu des enfants : Rapport sur le développe- ment des enfants chinois » publié en 2021 par le Centre des Enfants de Chine, en 2010, 15,5 % des enfants chinois d'âge scolaire étaient en surpoids ou obèses ; un chiffre en croissance constante, puisqu’il est passé à 20,4 % en 2014 et a grimpé à 24,2 % en 2019.

En 2022, 200 millions d'enfants seraient issus de familles à enfant unique, ces dernières représentant 40 % de l'ensemble des familles, selon un article paru dans le Journal of Global Health. Par conséquent, les parents « gtent trop l'enfant unique, qui reoit plus d'argent de poche pour acheter des snacks et des boissons gazeuses, ce qui entraîne un apport excessif de nutriments ».

De plus, l’on entend souvent les parents et grands-parents chinois dire que « ce n’est pas grave si l’enfant est un peu gros quand il est petit, car il est en pleine croissance ; il maigrira naturellement en grandissant ». Une idée « fausse », selon le Directeur du département d'endocrinologie de l'hpital général de l'Armée populaire de libération, qui avertit dans une vidéo partagée sur la plateforme vidéo de CCTV, que l’obésité infantile est en réalité « une maladie chronique qui affecte la santé de l'enfant tout au long de sa vie ». L'obésité infantile « entrane non seulement des anomalies dans le métabolisme des graisses et du glucose, ainsi qu'une puberté précoce ou un retard du développement sexuel, affirme le Dr. Mu Yiming, mais aussi une altération de la fonction hépatique et une hypertension artérielle. » Des effets néfastes qui se poursuivent jusqu’à l'âge adulte.

© ZHANG Yao/CNS

Un risque accru de maladies

En effet, non seulement la surcharge pondérale et l’obésité sont des problèmes de santé en soi, mais ils peuvent aussi avoir des conséquences aussi bien psychologiques, engendrant des complexes chez l’enfant comme chez l’adulte, que physiques. L’étude parue dans la revue médicale « Diabètes, Obésité et Métabolisme » montre, par exemple, que les participants en surpoids ou obèses étaient bien plus enclins à souffrir de prédiabète (excès de sucre chronique dans le sang, mais pas encore suffisamment pour un diagnostic de « diabète de type 2 »), d’hypertension, d’anomalie lipidique (notamment un taux de cholestérol trop élevé) ou encore de stéatose hépatique (accumulation de graisses dans le foie, sans consommation excessive d'alcool) que les participants qui avaient un IMC normal.

L’étude constate que même chez les participants considérés comme étant seulement en surpoids et non obèses, « la prévalence d'une ou de plusieurs complications (70,7 %) était presque le double de celle des participants ayant un IMC normal (41,7 %) ».

Selon l’OMS, la hausse de l’IMC est un facteur de risque majeur pour des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles musculo-squelettiques, en particulier l’arthrose, et même certains cancers.

Que fait l’État ?

Face à un nombre toujours croissant de personnes en surpoids et obèses, le gouvernement chinois et les autorités sanitaires ont mis en œuvre plusieurs mesures, telles que des campagnes de promotion de l’activité physique. Le plan « Remise en forme nationale » (全民健身, quanminjian shen), vise notamment à développer l’industrie du sport et à améliorer les services sportifs publics d’ici 2025 ; ou encore des plans d’action globaux, ne visant pas spécifiquement à lutter contre l’obésité, mais qui y contribuent, tels que « Trois réductions, trois actions pour la santé » (« 三减三健 », san jian san jian), qui appelle à la réduction du sel, du sucre et de l'huile dans l’alimentation, et à la promotion d'un poids sain, d'une bonne santé bucco-dentaire et d'une ossature saine.

La Chine s’attaque, d’autre part, à l’obésité infantile, en se fixant pour objectif de réduire, entre 2020 et 2030, le taux de croissance annuel moyen des enfants et adolescents (0 à 18 ans) en surpoids et obèses, de 70 % par rapport à la période 2002-2017. Et pour ce faire, le pays accentue, d’une part, l’importance de l’activité physique, en demandant à ce que les élèves de maternelle aient au moins deux heures d’activités extérieures par jour, dont une heure de sport, et que les élèves des écoles primaires et secondaires pratiquent au moins trois heures d'activité physique à forte intensité par semaine. Le plan recommande également une alimentation plus saine, aussi bien au sein des écoles qu’à la maison.

Mais si l’État met l’accent sur la nécessité d’une action coordonnée de la part des familles, des écoles, des communautés et des institutions médicales, dans les faits, il est difficile de contrler le mode de vie des enfants au sein de chaque foyer, les mesures n’étant, finalement, que des lignes directrices préventives et non contraignantes pour les parents.

Certaines personnes souffrant de surpoids et d’obésité font alors appel au secteur privé, cette « épidémie » d’obésité et de surpoids ayant fait natre de nouveaux business, allant de « pilules favorisant la perte de poids », à des camps d’amaigrissement, où les patients sont soumis à une cure d’amincissement, parfois extrme et non adaptée au métabolisme de chacun. La mort de Cuihua en mai 2023, une jeune femme de 21 ans qui documentait sur Douyin (la version chinoise de Tiktok) son parcours dans l’un d’entre eux, fin mai, avait ainsi ravivé de nombreux débats sur la légitimité et la sécurité de ces centres.

Revers de la médaille du développement fulgurant de la Chine, l’obésité et le surpoids, qui pèsent sur une population de plus en plus importante, est aujourd’hui une véritable « bombe à retardement », selon l’OMS, qui, affectera, si elle n’est pas désamorcée à temps, aussi bien la santé des individus, que l’économie du pays, des experts ayant prédit que les dépenses de santé liées au surpoids et à l’obésité représenteraient plus de 20 % du total des coûts médicaux de la Chine d’ici à 2030.

Photo du haut © Freepik

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