En Chine, une fronde inédite des maisons d'édition contre JD.com

1718109257772 Chine-info Hu Wenyan
Fin mai, une soixantaine de maisons d'édition chinoises ont pris une décision inédite : boycotter les soldes « 618 » de JD.com. En cause, des promotions imposées par la plateforme d’e-commerce, jugées arbitraires et inéquitables. Cette fronde sans précédent met en lumière la crise existentielle que traverse le secteur de l'édition en Chine.

Le 20 mai, la révolte a éclaté au grand jour. 10 maisons d’éditions pékinoises et 46 maisons d’éditions basées à Shanghai ont publié des déclarations collectives dénonçant les pratiques de JD.com. Une trentaine d'autres éditeurs à travers le pays ont emboîté le pas en publiant des communiqués individuels. La pomme de discorde ? Les rabais massifs imposés par la plateforme pendant les soldes annuels « 618 », qui se déroulent du 19 mai au 20 juin. Pendant au moins 8 jours, tous les livres doivent être proposés à des prix réduits d'au moins 70 %. Or, à ce niveau de diminution des prix, les éditeurs ne parviennent pas à couvrir leurs coûts et risquent même de se retrouver en perte.

Mais la colère inédite provoquée au sein du monde de l'édition se heurte à un mur d'incompréhension de la part de JD.com. Ce dernier défend sa position en mettant en avant l'intérêt des consommateurs. La plateforme estime aussi que ces promotions permettent de stimuler les ventes et de générer ainsi une plus grande valeur pour la société à travers la consommation.

Pourtant, le bras de fer entre les maisons d'édition et JD.com vient de loin. En 2011, 23 éditeurs de livres jeunesse ont résisté de manière unanime aux promotions - 60 % initiée par le groupe fondé par Liu Qiangdong. En 2013, huit grandes maisons d'édition ont également dénoncé la pratique de dumping et la vente des livres à pertes sur le marché. Mais l’entreprise a fait preuve de résilience dans ces batailles acharnées et a fini par consolider sa position sur le marché. La guerre des prix qui faisait rage s'est progressivement calmée. Désormais, les maisons d'édition conviennent d'une remise commerciale de 50 % proposée aux plateformes et aux librairies physiques. Cela a permis à un retour à la rentabilité, voire à instaurer une « période de lune de miel » entre les maisons d'édition et les plateformes en ligne.

Au fil des ans, les éditeurs sont souvent contraints d'augmenter le prix des livres pour faire face à l'offensive promotionnelle lancée par les plateformes. Les livres sont en effet de plus en plus chers, sans que les éditeurs ne parviennent à gagner plus d'argent, ni à offrir davantage de droits d’auteurs à leurs écrivains. Le marché du livre s’enferme ainsi dans un cercle vicieux, jusqu’à atteindre à un point de non-retour. En 2020, le chiffre d'affaires du secteur a reculé pour la première fois depuis 2011, et la chute s'est accentuée en 2022. L'irruption du live shopping sur le marché ne fait qu'aggraver la situation, en concurrençant les plateformes d'e-commerce traditionnelles et en poussant à des baisses de prix encore plus importantes.

La fronde des éditeurs surgit ainsi dans un contexte critique pour le secteur, tout en soulevant une série de questions clés pour lancer le débat et la réflexion concernant la survie de l'édition chinoise. Le livre est-il un produit comme un autre ? Les éditeurs chinois pourraient-ils s'inspirer de leurs confrères occidentaux pour négocier collectivement avec les plateformes d'e-commerce ?  Les autorités chinoises devraient-elles mettre en place de nouvelles lois et politiques pour protéger le marché du livre ? Comment faire aimer la lecture en Chine quand les applications de vidéos courtes monopolisent l'attention du grand public ? Il y a beaucoup de questions, et beaucoup de doutes, même au-delà de l’univers du livre. 

Photo : site d'Internet JD.com

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