« Avant-garde », « étendard de la supériorité culturelle française » : la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 divise les internautes chinois

1722344363038 Chine-info Hu Wenyan
Dans la nuit du 26 au 27 juillet, des millions de Chinois ont veillé jusqu'à l'aube pour suivre en direct la cérémonie d'ouverture des JO de Paris, diffusée à 1h30 du matin, heure chinoise. Transformée en une grande fête populaire le long de la Seine, l'événement n’a pas laissé les spectateurs chinois indifférents, suscitant tour à tour des cris d'enthousiasme et de protestation, ainsi que des réflexions sur leur propre mode de vie. 

Contrairement à d’autres chaînes étrangères, CCTV, la principale chaîne de diffusion des JO 2024 en Chine n’a censuré aucune image de la cérémonie. Cependant, lors de la diffusion d’un clip vidéo faisant référence au triangle amoureux culte du film Jules et Jim, l'animateur a marqué une pause imprévue. Ce moment de silence, rapidement devenu viral sur les réseaux sociaux sous le hashtag #leSilencedel'AnimateurCCTV, a suscité de nombreuses interrogations. S'agissait-il d'un simple étonnement, d'une désapprobation personnelle, ou d'une consigne ? Quoi qu'il en soit, cet épisode illustre parfaitement la complexité des réactions des spectateurs chinois face à une cérémonie aussi audacieuse que décomplexée.


Une cérémonie meilleure que celle de Pékin 2008 ?

Souvent acclamée, la cérémonie, perçue par certains comme « queer » et « libertine » a suscité des réactions mitigées voire hostiles auprès d’une partie des internautes chinois. Beaucoup ont protesté contre la cérémonie, considérée comme un « étendard de la supériorité culturelle française », en lui attribuant une mauvaise note sur Douban, référence en matière d’événements culturels en Chine. Résultat : notée initialement à 9/10, la cérémonie a vu sa note chuter à 6,4/10 selon les avis de plus de 50 000 spectateurs.

Dans l'empire du Milieu, la comparaison entre la cérémonie de Paris et celle de Pékin 2008 semble inévitable, les partisans des deux éditions s’écharpant sur les réseaux sociaux chinois. Il y a d’un côté celles et ceux qui préfèrent le pittoresque et la splendeur de la cérémonie chinoise et de l’autre celles et ceux qui apprécient le caractère plus libre et spontané de la cérémonie parisienne. La mise en scène de Thomas Jolly, qualifiée de chaotique par certains, est perçue par d'autres comme une célébration de l'individualisme et de l'authenticité. Une blogueuse spécialisée en art a souligné ces différences en rappelant que « l'art oriental privilégie la symétrie et la rigueur géométrique, tandis que l'art occidental penche davantage vers le déséquilibre et le mouvement. »

Des spectateurs suivent en direct la cérémonie d’ouverture des JO de Paris depuis un cinéma à Pékin

Une cérémonie « imparfaite » marquée par son « originalité » et sa « vivacité »

L'expression Songchigan, signifiant « calme et relaxant », a rapidement envahi la toile chinoise pour décrire, de manière mi-ironique la cérémonie des JO de Paris. Si les internautes chinois sont nombreux à louer l'esprit « Songchigan à la française », c'est souvent pour souligner, avec humour, les petits ratés et les imprévus qui ont marqué l'événement. De la polémique autour de la baignabilité de la Seine à l'absence d'un plan contre la pluie pour la cérémonie, en passant par le drapeau olympique hissé à l’envers au Trocadéro et une bévue lors de la présentation de la délégation sud-coréenne, les nombreuses maladresses improbables ont plutôt amusé les internautes chinois.

Pour certains, cette « zen attitude » supposée des Français cache une certaine négligence et un manque de professionnalisme. Ils estiment que les Jeux Olympiques requièrent une organisation sans faille. Pour d'autres, au contraire, le Songchigan des Français est inspirant pour mener une vie plus épanouie. « On doit faire des efforts dans la vie comme au travail, mais aussi apprendre à accepter de faire des erreurs », commente un compte public de Wechat spécialisé en psychologie qui a analysé le déroulement de la cérémonie. Une internaute sur Weibo loue également l'imperfection de la cérémonie, car elle « montre exactement son originalité et sa vivacité. Elle ressemble ainsi à une fête multithématique, tolérante, libre, spontanée, voire volontairement provocante ».

Des spectateurs suivent en direct la cérémonie d’ouverture des JO de Paris depuis un cinéma à Pékin

Un moment décisif pour « les femmes et les minorités sexuelles »

Le tableau « Sororité » de la cérémonie, dédié à la solidarité féminine, a particulièrement marqué une partie de l’opinion publique chinoise sensible à l’émancipation féminine. Le 28 juillet, au lendemain de la diffusion de la cérémonie en Chine, le magazine mensuel Renwu, a publié sur son compte officiel WeChat un article dressant les dix portraits de ces « femmes en or », représentées par des statues postées près de l’Assemblée nationale. Cet article a suscité un immense engouement, avec plus de 100 000 lectures et 3 000 partages en seulement deux jours.

Si la séquence consacrée à Simone de Beauvoir n'a pas été sans accrocs - la statue de la célèbre féministe n'a pas émergé de l'eau à temps comme prévu -, cet incident n'a pas échappé aux spectatrices chinoises. Loin d'être perçu comme une simple erreur technique, cet imprévu a été interprété par beaucoup comme une métaphore de la lutte féministe. « Une scène parfaite, comme si Simone de Beauvoir nous disait : ce n’est pas encore le moment de fête, jeunes femmes, avancez ! » philosophe une jeune Chinoise, citée dans l'article de Renwu. Xianzi, icône de #metoo chinois, partage le même optimisme, car la cérémonie est un moment décisif pour « les femmes et les minorités sexuelles » vivant dans les recoins du monde entier : « pour la première fois, ils ne se sentent plus seuls et pourraient rêver d’être au centre de la scène ».

Photos : CNS

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.