
La « IShowSpeed Mania » : quand un streamer américain bouleverse la Chine
Le streamer américain, fort de ses 37 millions d’abonnés sur YouTube, suscite un enthousiasme sans précédent lors de son voyage en Chine. Il devient, malgré lui, un véritable ambassadeur du soft power chinois à l’ère du direct, flattant l’ego d’un peuple en quête de reconnaissance.
Le séjour en Chine de l’influenceur américain IShowSpeed, de son vrai nom Darren Watkins Jr., est en passe de devenir un véritable phénomène culturel, voire interculturel. Depuis le 24 mars, la star des réseaux sociaux a posé ses valises en Chine, une étape de son périple mondial qu’il retransmet en direct. À Shanghai, son premier live dans le pays - un direct de six heures sans interruption sur YouTube - a attiré 6,5 millions de spectateurs. On le voit arpenter des lieux emblématiques, discuter avec des passants, goûter des spécialités locales… et même jouer au ping-pong avec la star de la K-Pop, Jackson Wang. Ce globe-trotter semble avoir ouvert les yeux de ses fans sur la Chine, dont certains ont salué la gentillesse des habitants, la propreté des villes et les prouesses technologiques du pays.
Cela a captivé l’attention des internautes chinois, et le hashtag « Le jeune homme hyperthyroïdien qui diffuse en direct depuis Shanghai brise les stéréotypes occidentaux sur la Chine » est rapidement devenu tendance sur Weibo. En effet, en raison de ses réactions souvent surexcitées et excessives, IShowSpeed s’est vu attribuer un surnom chinois légèrement impertinent : jiakangge, que l’on peut traduire par jeune homme hyperthyroïdien (en référence à sa particularité à faire les yeux ronds et son hyperactivité).
De Shanghai à Chongqing, en passant par Songshan et Chengdu, ce touriste VIP poursuit son séjour en Chine, davantage citadin que rural. Ses vidéos rencontrent un tel succès que les autorités chinoises ont même salué la venue de celui qui a été sacré meilleur streamer international aux Streamer Awards 2024, une sorte d’« Oscars du web ». Pour l’ambassade de Chine aux États-Unis, il « crée des canaux alternatifs permettant au public étranger de mieux connaître une Chine dynamique ». Le ministère des Affaires étrangères chinois ne cache pas non plus son enthousiasme. Comme l’a rappelé, le 1er avril, son porte-parole Guo Jiakun : « Ce phénomène atteste que les échanges culturels sino-étrangers s’enracinent dans une adhésion populaire profonde, indestructible et indissociable. »
En effet, dans un contexte géopolitique marqué par de vives tensions, certains Chinois et Américains semblent chercher à dépasser leur relation de rivalité, pourtant illustrée par les guerres commerciales et technologiques entre leurs deux pays. Un exemple récent en est la migration des « réfugiés de TikTok » : des utilisateurs américains se replient en masse sur l’application chinoise Xiaohongshu, où émergent des échanges inattendus et conviviaux entre internautes des deux nationalités.
Cette tournée intervient alors que la Chine cherche à relancer le tourisme et à promouvoir une image plus nuancée à l’international. Pour certains médias chinois, IShowSpeed agit de facto comme un porte-parole de la campagne « China Travel », lancée par Pékin pour attirer les voyageurs étrangers désormais bénéficiaires de 10 jours d’exemption de visa de transit. Shaun Rein, fondateur du cabinet de conseil China Market Research, va plus loin en affirmant sur son compte Twitter : « IShowSpeed fait plus pour le soft power chinois en une journée que moi en trente ans de carrière », ajoutant qu’« il met à mal des années et des milliards de dollars de propagande anti-chinoise américaine. »
Pourtant, IShowSpeed n’est pas le premier influenceur étranger à connaître une célébrité soudaine et populaire en Chine. Aux alentours de 2020, le pays a vu émerger une vague d’influenceurs étrangers se déclarant amoureux de la Chine, qui connaissent une ascension fulgurante et un immense succès commercial en jouant sur la fibre nationaliste du public chinois. Face à la « IShowSpeed Mania », certains internautes préfèrent garder la tête froide et adopter un regard plus critique sur le phénomène. « Il est regrettable que la confiance du pays se construise à travers le regard et les jugements des étrangers », déplore le blogueur Diaofan sur WeChat. Selon lui, « si l’Occident a des préjugés envers la Chine, ce ne sont pas quelques vidéos qui vont les briser ».
Photo : capture écran d’une vidéo d'IShowSpeed sur internet
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