
[Internet du milieu] En Chine, les internautes se mobilisent en faveur de salles de repos pour les agents d'entretien
Lancé de manière totalement fortuite par de jeunes internautes, le mouvement, qui revendique l’accès à des espaces de repos décents pour les agents d’entretien, fait fureur sur les réseaux sociaux chinois. En ligne de mire : la précarité et le travail invisible d’un métier peu considéré.
Dans un espace de deux mètres carrés s’entassent des objets personnels - chaussures, vêtements et petits snacks -, qui jouxtent des outils de nettoyage et un tabouret. L’image paraît banale, jusqu’à ce qu'un détail nous saute aux yeux : au sol, dissimulé sous un papier cartonné, un trou agencé en faïence. Il s’agit en réalité d'une cabine de WC à la turque, réménagée en espace de repos pour une femme de ménage.
Partagée par un internaute chinois, cette photo met en lumière les conditions de repos déplorables de nombreux agents de propreté, suscitant l’indignation sur Internet en Chine. Depuis mars, une déferlante de photos dénonce sur les réseaux sociaux le calvaire invisible que subissent les agents d’entretien (souvent des femmes) dans les lieux publics : en plus des cabines de toilettes, ils se servent aussi des paliers d’angles, ou encore des locaux techniques électriques pour se reposer, déjeuner, voire dormir.
« La salle de repos d'une femme de ménage de notre université », photo partagée sur les réseaux sociaux chinois. DR.
Le débat s'enflamme, allant jusqu’à se hisser en tête des recherches sur Weibo. Les médias chinois suivent également ce sujet avec attention. En avril, l'agence Xinhua a réalisé une enquête-photos consacrée aux agents d’entretien à travers la Chine. « Non seulement les agents d’entretien manquent d’espaces de repos appropriés, mais ils sont également soumis à des horaires prolongés et à une cadence de travail élevée », observe l’agence de presse officielle de la Chine. De son côté, le Quotidien de la jeunesse de Chine appelle à « garantir davantage les droits légitimes de tous les travailleurs », soulignant que les agents d’entretien « méritent le respect de tous ».
Au-delà de la sphère médiatique, le phénomène prend de l’ampleur et commence à exercer un impact réel et concret au sein de la société. Comme le rapporte un article du magazine chinois NF people weekly, sommée par ses étudiants, l'Université de science politique et de droit de Chine orientale (Shanghai) a transformé une salle de classe en salle de repos, équipée d’un climatiseur et d’un micro-onde, dédiée aux agents d’entretien. Ce n’est pas un cas isolé : plusieurs autres universités chinoises lui ont emboîté le pas. De telles initiatives fleurissent, s’étendent dans des centres commerciaux, des hôpitaux, voire des cinémas.
L’empire du Milieu compte aujourd’hui des dizaines de millions d’agents de propreté, dont une majorité de femmes quadragénaire et quinquagénaires originaires des zones rurales. Peu éduquées et souvent marginalisées, elles sont peu enclines à faire appel à la loi ou à des organismes pour défendre leurs droits. En témoigne Ma mère, femme de ménage (2024), biographie écrite par l'ancienne journaliste Zhang Xiaoman qui retrace le quotidien aliénant de sa mère, une paysane devenue femme de ménage à Shenzhen, capitale technologique de la Chine. Pour l’auteure, « nombreuses, elles vivent pourtant en marge de la ville, privées de propreté, de confort et de commodité. Leur sort est en réalité le reflet de celui de la majorité d’entre nous. »
Couverture du livre Ma mère, femme de ménage © Douban
Les Chinois se vantent volontiers de la propreté de leurs villes face aux touristes étrangers, mais valorisent rarement celles et ceux qui la rendent possible - ces travailleurs de l’ombre, derrière les tours ultra-modernes et des bureaux immaculés. Si les jeunes s’emparent aujourd'hui avec vigueur de la question des droits au repos des femmes de ménages, allant jusqu’à réclamer des salles qui leur soient dédiées, c’est peut-être qu’ils y perçoivent le reflet exacerbé de leur propre quotidien. Contrairement à leurs aînés, ils cherchent davantage un équilibre entre vie privée et professionnelle, n’hésitant pas à contester un rythme de travail éreintant. « Espace réduit, temps compressé. Dans le métro, les corps s’entassent et les esprits étouffent. Alors, on comprend les agents d’entretien, murés dans leurs cabines », analyse le centre de recherches des vidéos en ligne de l'université de Communication de Chine.
Photo : Xinhua
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