
Femmes à l’écran, la nouvelle vague chinoise
Depuis quelques années, réalisatrices, scénaristes et comédiennes s’emparent des thématiques de genre à la rencontre d'un public de plus en plus large.
À la fin de
l’année 2024, alors que le box-office chinois connaissait un ralentissement
notable, le film indépendant Her Story (好东西)
a surpris par son succès inattendu. Deuxième long-métrage de la
réalisatrice Shao Yihui, il retrace les parcours croisés de trois femmes de
générations différentes à Shanghai. Réalisé avec un budget qu’on devine
modeste, le film a engrangé 700 millions de yuans. Bien que loin des 15
milliards générés par Ne Zha 2, ce résultat a été perçu
comme une belle réussite pour le secteur indépendant. « En plus d’être
bien réalisé, avec de très bonnes actrices, ce film m’a profondément
touchée. J’ai reconnu des situations que vivent de nombreuses jeunes femmes en
Chine, entre vie professionnelle et attentes sociales », explique Li
Muyuan, responsable communication d’une ONG médicale basée à Pékin, et
consommatrice assumée de contenus « féminins ». Le succès du film s’inscrit
dans une dynamique plus large observée dans la société chinoise. Si,
historiquement, les femmes occupaient une place secondaire, les dernières
décennies ont vu l’émergence d’une nouvelle génération féminine
bénéficiant d’une indépendance économique accrue. Ainsi, alors que les
hommes représentaient plus de 75 % des étudiants dans les années 1990, les
femmes sont devenues majoritaires dans les universités depuis le milieu des
années 2010. Cette évolution s’est accompagnée d’un recul du nombre de
mariages : en 2024, on ne comptait que 6,1 millions d’unions, contre plusieurs
dizaines de millions au début des années 2010, dans un contexte de population
encore stable.
Compte
officiel Weibo de la web-série « Delicious Romance »
Conséquence
directe : une population féminine célibataire et économiquement active prend
de plus en plus d’importance. Pour les créateurs de contenu, qu’ils évoluent
dans la littérature, le cinéma, le stand-up ou les formats audiovisuels grand
public, conquérir ce public est devenu essentiel. « Désormais, lorsque
nous développons un nouveau concept d’émission, nous pensons en priorité à
notre audience féminine. Elles sont plus enclines à débattre sur les
réseaux sociaux et jouent un rôle décisif dans l’intérêt des marques pour
un programme », souligne Luca Zhao, CEO de Dao Media, qui a collaboré à
des formats tels que National Treasure (国家宝藏 –
CCTV3) et The Dunk of China (这! 就是灌篮
– Youku). Un constat partagé par la réalisatrice Wang Jiaxi, auteure de la
série Des Vacances Inattendues (突如其来的假期), inspirée de la série britannique Fleabag. Son
œuvre, centrée sur la vie d’une trentenaire chinoise, a cumulé 150 millions
de vues sur la plateforme Bilibili. « Le public féminin se détourne peu à
peu des blockbusters ou des séries policières. Beaucoup recherchent des
récits plus proches de leur quotidien. Ce sont ces échos personnels qui, je
crois, expliquent l’accueil positif de ma série. J’ai reçu de nombreux
messages de spectatrices se sentant inspirées par l’héroïne »,
indique-t-elle. Une deuxième saison est actuellement en préparation.
Compte
officiel Weibo de la web-série « Des Vacances Inattendues »
Cette
dynamique dépasse les grands centres urbains. Désormais, certains films et
séries rencontrent un écho favorable dans les villes moyennes et les zones
rurales. « Lorsque nous allons voir ce type de films, mes amies et moi
emmenons aussi nos mères », note Li Muyuan. Parmi les titres marquants, Like
a Rolling Stone (出走的决心 – 2024),
inspiré d’une histoire vraie, raconte le parcours d’une femme quittant son
mari après trente ans de vie commune. Selon les données officielles, 80 % des
spectateurs étaient des femmes, mais 54 % provenaient de villes petites ou
moyennes, et 42 % avaient plus de 35 ans.
Compte
officiel Weibo du film « Like a Rolling Stone »
Loin d’être une tendance passagère, les créations abordant les thématiques de genre se développent. « Beaucoup de femmes se sentent concernées et se tournent vers le stand-up », explique Jiang Xiaotong, fondatrice du Kudos Comedy à Shanghai, un club dédié au stand-up. Elle souligne que cette dynamique a encouragé l’émergence de nouvelles comédiennes, y compris dans de petites localités. « C’était inimaginable il y a encore quelques années ! », rapporte-t-elle. Toutefois le fait de mettre une femme au centre d’un récit ne garantit pas son succès. Ainsi, le film Beyond the Clouds (我本是高山 – 2023), basé sur la vie de l’éducatrice Zhang Guimei, a connu un échec commercial, avec seulement 38 millions de yuans au box-office. « Le public attend de la sincérité, pas un usage opportuniste de figures féminines », conclut Li Muyuan.
Henri Moulin est consultant spécialisé dans les projets culturels basé à Pékin.
Photo du haut : Unsplash
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