
Zibo, la nouvelle ville du cool en Chine ?
Grâce au barbecue, une spécialité locale aussi fédératrice que bon marché, Zibo, petite ville industrielle et méconnue, est devenue la nouvelle coqueluche des jeunes urbains branchés dans l’empire du milieu. De quoi s’interroger sur les rapports entre la culture jeune et le développement urbain en Chine.
Zibo, petite ville inconnue du Shandong, est devenue la nouvelle « capitale du barbecue » chinoise ? En tous cas, au printemps dernier, le barbecue de Zibo était sur toutes les lèvres, au moment où la Chine levait de nombreuses restrictions sanitaires. La « Zibo mania » a fait couler beaucoup d'encre en Chine comme à l’étranger : le très renommé magazine britannique The Economist y a même consacré un article dans ses colonnes, sans compter les reportages réalisés par plusieurs chaînes françaises comme TF1 ou France 24.
La popularité fulgurante de Zibo est loin d’être un cas isolé. Des villes de provinces, souvent reléguées au second plan, se voient de plus en plus propulsées sur le devant de la scène médiatique et touristique. C’est en partie grâce aux initiatives des jeunes, très actifs sur les réseaux sociaux, qui ont réussi à mettre en valeur de nombreuses petites et moyennes villes à l’ère digitale. À l’image de Chongqing, surnommée ville-montage sublimée par ses paysages fantastiques et de Changsha, connue pour son patrimoine culinaire bien fourni, Zibo est en train de devenir la nouvelle ville du cool en Chine.
Comment expliquer la vitalité et le dynamisme urbain qui marquent les métropoles chinoises ? Quels sont les principaux défis et opportunités pour les métropoles de mener à bien des projets sur la culture jeune ? Autant de sujets vastes et complexes qui ont réuni deux spécialistes - Elsbeth van Paridon, sinologue néerlandaise et consultante de L'hebdomadaire de Pékin, et Liu Jianghong, vice-directeur du collège de management culturel de l’Université de communication de la Chine -, dans un entretien accordé à China News.
Comment présentez-vous Zibo aux étrangers ?
Liu Jianghong : Je dirais que c’est « une ville millénaire qui vous guérit par la fumée et la braise ». Car c’est tout d’abord une ville historique qui a mille ans d'histoire dense derrière elle. Riche en patrimoine culturel et littéraire, elle est également connue pour être la ville natale de plusieurs écrivains dans l’histoire chinoise. Parmi ces derniers se trouve Pu Songling sous la dynastie Qing (1644 - 1911), auteur des Chroniques de l'étrange, chef-d'œuvre inégalé de la littérature d'imagination chinoise. Et puis, « la fumée et la braise » font bien sûr référence aux spécificités propres au barbecue qui ont fait la renommée de la ville. Mais l’expression ne désigne pas seulement la nourriture, elle évoque également un état d’esprit paisible et spontané lors des échanges animés autour de la table. Comme l’a dit l’écrivain chinois Wang Zengqi, d’ailleurs connu pour ses essais sur la nourriture chinoise, « le folklore est un poème lyrique coécrit par l’ensemble d’un peuple dédié à la vie », le barbecue de Zibo ressemble à ce genre de poèmes lyriques composés par le peuple chinois qui ne manque jamais de convivialité et d’hospitalité.
Quel regard portez-vous sur ce nouveau phénomène ?
Elsbeth van Paridon : Les pays occidentaux ont tendance à analyser la Chine sous le prisme politique, mais mes amis millennials portent avant tout intérêt à ce que font les Chinois de leur âge. En effet, ces derniers étaient nombreux à se rendre ces derniers temps à Zibo pour goûter le barbecue local, mettant ainsi cette ville millénaire mais relativement inconnue à la une de la presse internationale. Cela doit beaucoup à l’explosion des réseaux sociaux en Chine et l’enthousiasme de la jeunesse en quête perpétuelle de nouveauté et d’originalité.
Dans quelle mesure la culture jeune urbaine a-t-elle évolué durant ces dernières années ?
Elsbeth van Paridon : La prospérité économique a contribué à l'émergence de la classe moyenne en Chine. Nombreux sont ceux qui explorent sans cesse de nouveaux horizons, entre sport, culture et divertissement. La culture jeune évolue ainsi au gré du développement du pays. Dans ce processus, le phénomène Zhongguo feng, ou le « style chinois », marque un tournant : au lieu de se ruer vers des produits étrangers, de plus en plus de Chinois accordent du crédit aux marques locales. Depuis 2022, les jeunes urbains branchés, notamment la génération Z (des personnes nées entre 1995 et 2010), se passionnent pour des activités outdoor. La tendance est telle qu’une nouvelle mode combinant le style outdoor et le look sportif est en train d’émerger. Ces derniers mois, l’expression dazi, ou « compère » en chinois, a inondé les réseaux sociaux chinois. Elle désigne le nouveau phénomène parmi les jeunes qui cherchent des internautes inconnus pour voyager, dîner ou encore jouer au mahjong ensemble. C’est une façon de construire des liens sociaux à l’ère digitale et un nouveau mode de vie parmi les jeunes urbains surfant sur la vague des tendances.
Liu Jianghong : En effet, les jeunes Chinois, plus individualistes et innovants que leurs aînés, se démarquent par trois qualités bien précieuses qui sont la curiosité, l’ouverture d’esprit et la coopération. Tout d’abord, ils sont capables d’apprendre de nouvelles choses à tout moment pour mieux explorer et comprendre le monde. À la croisée des cultures chinoise et occidentale, les jeunes urbains se cherchent et structurent ainsi leur propre pensée alors que la Chine ne cesse d’ouvrir plus grandes ses portes. Quant à l’esprit de coopération, il fait partie de leur ADN pour mener des projets en travaillant main dans la main avec d’autres membres d’une équipe. En somme, pour eux, tout fonctionne autour des centres d'intérêt, qui deviennent un des mots clés pour comprendre les modes de consommation et de sociabilisation chez les jeunes urbains chinois.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photos :Xinhua
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