
[Pékin explorateurs] La garde impériale dans la Cité interdite
La garde de nuit dans la Cité interdite
Au centre de Pékin, la Cité interdite vit se succéder quatorze empereurs de la dynastie Ming et dix de la dynastie Qing. La nuit venue, les dignitaires quittaient l’ensemble palatial et les membres de la famille impériale se calfeutraient dans leurs enceintes privées. Les allées intercalaires se vidaient presque. Seule la garde du palais (Danei shiwei 大内侍卫) y circulait. Et encore ! Ils ne s’éloignaient guère de leurs postes puisque leurs rondes s’opéraient sous forme de relais.
Les guérites de la garde dans la Cité interdite
Aujourd’hui, en longeant l’allée Dongtongzi, nous voyons, sur les murs pourpres, des arches dessinées par des briques grises. Il s’agit des vestiges de renfoncements de 65 cm à 88 cm creusés dans des parois possédant jusqu’à 3 m d’épaisseur par endroits, ces niches agrandissaient d’étroites guérites en bois construites contre les murs au XVIIe siècle.
Photographie du texte « 交班夜点 , 弓十四张 , 箭壹佰分支 » écrit dans une guérite de l’allée Dongtongzi. Nous choisissons de lire les trois colonnes de gauche à droite ce qui n’est pas ordinaire en chinois, mais reste possible. Le texte respecte ainsi l’ordre usuel des formulations trouvées dans les anciens traités militaires, avec l’effectif distribué exprimé en dixièmes (fen 分). Jian Zhi [建知] (1996), « 紫禁城里的堆拨 » [Les niches des baraques de la garde dans les murs de la Cité interdite], in 紫禁城 [Forbidden City] (Pékin), n°3 de l’année 1996, pp.42-43.
Les guérites s’appelaient duibo fang (堆拨房) en chinois et juce-i boo en mandchou. Elles servirent jusqu’au début du XXe siècle. Finalement, les vétustes structures de bois furent démolies en 1951 pour faciliter la circulation des visiteurs du musée du vieux palais. Les niches encastrées furent rebouchées, et seules les arches furent préservées en témoignage de l’activité de la garde impériale fondée en 1644 par Dorgon, le prince Rui.
Anecdotes concernant la vie de la garde
La sélection des gardes était sévère : ils devaient exceller à la lutte et au tir à l’arc, et il leur fallait également un certain niveau d’éducation. Leur charge était prestigieuse mais exigeante. L’histoire retient d’ailleurs qu’en 1776 l’empereur Qianlong aperçut un échiquier dans une guérite et punit ce qu’il considéra comme un laisser-aller inacceptable. Trentesept ans plus tard, en 1813, alors que l’empereur Jiaqing, fils de Qianlong, séjournait à Chengde loin de Pékin, la garde commit une faute encore plus grave et à peine concevable en laissant s’infiltrer une centaine d’insurgés du mouvement Tianlijiao (天理教) jusqu’à la porte Longzongmen presque au cœur du palais. Les attaquants laissèrent une flèche que l’empereur ordonna de conserver comme une admonestation à la garde qui avait failli à son devoir.
Pointe de flèche datant de 1813 sur le cadre de la pancarte de la porte Longzongmen (隆宗门) dans la Cité interdite. © Rémi Anicotte (15 janvier 2022).
Plus tard encore, lors d’une nuit de l’été 1905, d’après Gu Lin (1982), des gardes surprirent un homme appelé Jia Wanhai (贾万海) qui s’était introduit dans la salle de l’Harmonie suprême (太和殿) par une fenêtre ouverte. Il y dansait et ne semblait pas avoir tous ses esprits. L’empereur Guangxu vivait certes dans les jardins de l’Ouest hors de la Cité interdite, et l’impératrice douairière Cixi séjournait probablement ce soir-là dans son palais d'Été au parc Yiheyuan, mais cette intrusion prouvait un inquiétant laisser-aller de la sécurité de la Cité interdite, d’autant plus que l’intrus portait sur lui deux couteaux et deux boites d’allumettes. D’ailleurs, Jian Zhi (1996) donne la photographie d’une inscription écrite à l’encre sur le mur d’une guérite et qui peut se traduire par « À la prise de service de nuit, on distribue quarante arcs et dix flèches par arc ». Il s’agit d’un extrait du règlement de la surveillance à la Cité interdite. Jian Zhi (1996) estime justement que la présence de ce texte et d’autres graffitis dénotent un relâchement de la discipline au palais au début du XXe siècle, dans les dernières années de l’empire, avec des gardes pourtant toujours capables de lire et écrire.
Rémi
Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est
directeur de China Intuition,
société implantée à Pékin.
Photo du haut : Arches de briques sur les murs de l’allée Dongtongzi (东筒子长街) entre les six palais de l’Est (东六宫) et le palais Ningshougong (宁寿宫) dans la Cité interdite. © Rémi Anicotte (20 février 2024).
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