
[Pékin explorateurs] Les campus pékinois de l’Université franco-chinoise
Sites pékinois de l’ancienne université franco-chinoise
Aujourd’hui, en centre-ville, se visitent le vaste
auditorium et les salles de classe de l’ancien Institut Voltaire (écrit 服尔德学院ou 伏尔泰学院),
qui était un campus littéraire et le siège administratif de l’Université.
Le lieu fut récemment réhabilité à l’initiative de l’espace Yishu 8 qui
organise des résidences d’artistes et d’artisans chinois en France et français
en Chine. Par ailleurs, dans l’enceinte du parc zoologique de Pékin, au sud de
l’enclos des flamants roses et au nord-ouest du poste de police, se trouve
l’ancien Institut Lamarck (陆谟克堂), un campus de biologie désormais utilisé
par l’administration du zoo. Plus loin, l’Institut des collines de l’ouest
avait loué et rénové une partie du temple Biyunsi (碧云寺)
pour y installer son école préparatoire (cours de français
et de mathématiques) en 1918. Mais tout fut effacé par les moines qui
rompirent le contrat de location en 1942.
Li Shizeng et Cai Yuanpei © CC0, via Wikimedia Commons
Le site de l’ancien lycée de Wenquan, initialement
attaché à l’Université franco-chinoise, est désormais occupé par un centre
de formation appelé académie Jingde (敬德书院).
Les chanceux qui obtiennent l’autorisation d’y entrer peuvent encore admirer un
pont plat en pierres de taille soutenu par deux piles, puis, passé ce pont, un
vaste auditorium qui servait de bibliothèque et de salle d’étude. Nous
imaginons les élèves studieux et leurs professeurs assis devant les tables de
bois, entourées d’étagères remplies de livres. La construction fut financée
par les généraux Feng Yuxiang, Sun Yue, Hu Jingyi, sous l’impulsion de Li
Shizeng. Ils étaient tous membres de la Ligue jurée (同盟会) du
révolutionnaire républicain Sun Yat- sen, et ils soutenaient la
revitalisation de l’enseignement en Chine, notamment dans ce havre de paix, à
l’abri du tumulte des « seigneurs de la guerre » qui grondait en ville.
Façade extérieure de l’ancien Institut Voltaire de
l’Université franco-chinoise, situé en centre-ville, sur la rue nord des
vestiges des remparts de la ville impériale (皇城根北街). © Rémi
Anicotte (7 mai 2024)
Historique des débuts de l’université franco-chinoise
L’Université franco-chinoise était une institution
d’enseignement supérieur fédérant plusieurs sites. Elle fut créée à
Pékin en 1920, et elle fonctionna en Chine jusqu’à la fermeture en 1945- 46
des campus réfugiés dans la province du Yunnan durant l’occupation japonaise,
puis l’intégration en 1950 des divers campus au sein des universités
refondées par la République populaire de Chine. Cai Yuanpei dirigeait
l’Université de Pékin, il faisait aussi office de ministre de l’Éducation,
et il tint le rôle de doyen de l’Université franco-chinoise jusqu’en 1930.
L’Université franco-chinoise recrutait et préparait des étudiants chinois
qui devaient entrer à l’Institut franco-chinois de Lyon (里昂中法学院)
établi en 1921 par l’Université de Lyon et son recteur Paul Joubin, le maire
Édouard Herriot et Li Shizeng, accompagné de ses compagnons de route basés
en France, tels que Wu Zhihui et Chu Minyi. De 1922 à 1946, cet institut
accueillit un total de 473 étudiants chinois, dont 51 filles, soit un
centième des effectifs se rendant au Japon ou aux États- Unis. Un tiers
d’entre eux, soit 140, soutinrent un doctorat dans une université française. Citons
simplement Zheng Dazhang (1904-1941) l’un des doctorants chinois de Marie Curie
(1867-1934), Zhang Xi (1897-1967) un des pères de l’océanographie chinoise,
et l’ethnologue Yang Kun (1901-1998).
Façade de l’ancien Institut Lamarck de l’Université
franco-chinoise (dans l’enceinte du zoo de Pékin) : base des murs en pierres,
bâtiment central en briques grises et à trois étages, bâtiments latéraux en
briques rouges et à deux étages. © Rémi Anicotte (6 septembre 2022).
Exposée de la sorte, l’histoire de l’Université franco-chinoise en Chine semble simple. Cependant, le récit de son émergence, couplé à celui de son pendant, l’Institut franco-chinois à Lyon, fut sujet à maintes approximations car les premiers administrateurs récupérèrent de façon pragmatique des éléments existants du projet travail-étude de Li Shizeng que l’Université cherchait justement à remplacer et dont elle voulait pourtant se démarquer. Li Shizeng était passé par l’École pratique d’agriculture de Montargis en 1902, et avait ouvert en 1908 la Caséo-Sojaïne, une usine de production de tofu à La Garennes-Colombes. Il assura le démarrage effectif de l’Université franco-chinoise en récupérant des éléments issus du « projet travail-études » (勤工俭学运动), qu’il avait lancé en 1912 dans un cadre associatif, et qui continua à fonctionner jusqu’en 1927, en parallèle au projet universitaire. Ce projet affichait une ambition éducative, mais, dans la majorité des cas, se bornait à faire passer en France des jeunes Chinois qui souhaitaient y travailler, et qui fournissaient de la main d’œuvre à certaines entreprises, notamment la Caséo-Sojaïne. Le projet travail-études concerna trois à quatre mille Chinois qui, tels que Deng Xiaoping (1904-1997) et Zhou Enlai (1898-1976), ne s’inscrivaient que rarement dans un parcours universitaire, soit en raison d’un manque de moyens financiers, comme Deng Xiaoping qui travailla en tant que manœuvre chez Hutchinson à Châlette-sur-Loing, puis à Renault-Billancourt où il s’initia au syndicalisme, soit parce qu’ils nourrissaient d’autres ambitions, tel que Zhou Enlai qui parcourut l’Europe, soutenu par sa famille.
Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition, société implantée à Pékin.
Photo du haut : bâtiment de cours de l’ancien Institut
des collines de l’ouest de l’Université franco-chinoise : architecture
traditionnelle chinoise sur une parcelle appartenant au temple Jinshansi (金山寺) dans le district
de Haidian.
© Rémi Anicotte (10 mars 2021)
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