[Pékin explorateurs] Les tuiles et briques vernies du vieux Pékin

1726646870000 Le 9 Rémi Anicotte
À l’époque impériale, les toits des édifices non impériaux étaient couverts de tuiles non vernies grises de la même teinte que les briques grises qui caractérisent le vieux Pékin. Les tuiles vernies (c’est-à-dire couvertes d’une glaçure vitrifiée) étaient l’apanage des palais et des établissements directement patronnés par l’État comme les administrations, ainsi que certains temples.

Le jaune était la couleur la plus prestigieuse ; elle décorait la Cité interdite, demeure de l’empereur, les mausolées des souverains défunts, les kiosques protégeant des stèles impériales, certains temples, etc. Le noir était dévolu aux administrations et aux bibliothèques, et à certains temples. Le vert recouvrait beaucoup de lieux de cultes, ainsi que les palais princiers. Enfin, au XVIIIe siècle, l’empereur Qianlong lança maintes rénovations où il introduisit un bleu foncé (produit avec du lapis-lazuli), dénotant un choix esthétique s’écartant des codes anciens. D’ailleurs, les palais du Jehol au XVIIIe siècle, conçus par les empereurs Kangxi et Qianlong qui firent de Chengde leur capitale estivale, instaurèrent également une rupture en abandonnant les tuiles vernies pour les palais, leur donnant ainsi un style champêtre.

Tuiles noires et vertes en bordures, sur le toit de la bibliothèque Wenyuange (文渊阁) dans la Cité interdite. Le mur latéral est en briques grises. © Rémi Anicotte (10 janvier 2024)

Au XIVe siècle, les commandes d’État de tuiles vernies (liuli wa 琉璃瓦) et de briques vernies (liuli zhuan 琉璃砖) étaient adressées aux fours installés dans l’actuelle rue Liulichang (琉璃厂大街) où le terme chang () signifie fabrique. Mais, au XVIIIe siècle sous le règne de l’empereur Qianlong, la production fut déplacée au village Liuliqucun (琉璃渠村) à Mentougou, où des fours étaient déjà implantés de longue date, à proximité de gisements d’argile de la rivière Yongding. L’architecture de Liuliqucun est typique des bourgades de montagne de l’ouest de Pékin avec des bâtiments en pierre et des toits souvent couverts d’ardoise. Un comble pour des producteurs de tuiles !

Puis, dans les années 2010, les industries polluantes furent chassées hors de la commune de Pékin et le site de Liuliqucun devint une friche vite réhabilitée en centre culturel, le Jinyu Coloured Glaze (金隅琉璃文化创意产业园) ouvert au public en 2019 en association avec l’école School of Future Design attachée à l’Université normale de Pékin.

Aujourd’hui, l’entretien du patrimoine requiert toujours des tuiles vernies dont la production s’opère désormais loin de Pékin, dans des fours électriques qui dégagent moins de fumées que les anciens fours à charbon. Les grandes lignes des procédés de fabrication sont bien connues, même si le détail des étapes permettant d’obtenir une qualité digne des toits de la Cité interdite reste un secret bien gardé.

Élément de décoration d’un toit verni en vert à l’entrepôt de la société Beijing Tong Construction Materials à Changping. © Rémi Anicotte (9 juin 2024)

Pour produire des briques, l’argile crue est moulée pour lui faire prendre la forme désirée. Puis elle est cuite entre 1 100°C et 1 500°C donnant une matière dure et lisse. Lors de cette cuisson, si l’oxydation des sels de fer n’est pas contrôlée, on obtient une terre cuite rouge qui est celle des briques à l’occidentale qui devinrent à la mode en Chine vers la fin de l’Empire comme une marque de modernité. Cependant, la production traditionnelle chinoise favorise la réduction (la réaction chimique inverse de l’oxydation) en faisant couler de l’eau dans le four ou en saturant l’atmosphère du four en monoxyde de carbone (qui est le résultat d’une combustion incomplète du charbon), produisant les briques et tuiles grises que l’on voit encore dans les ruelles de Pékin. En fait, il est difficile de dire si la réduction s’opère lors d’une deuxième cuisson ou si elle constitue une étape d’une cuisson unique des briques, ces questions relèvent des astuces de fabrication qui ne se divulguent pas. Pour confectionner des tuiles ou des briques vernies, la première cuisson s’effectue à 900°C, donnant un biscuit blanchâtre et poreux sur lequel la pâte glaçurante tient parfaitement.

La pâte glaçurante appliquée sur la surface à vitrifier est élaborée à base de silicates (comme le verre) et de sels minéraux colorants, sa composition dépend donc de la couleur recherchée. Finalement, on opère une nouvelle cuisson entre 700°C et 980°C selon les composants et l’effet recherché, en tout cas à une température plus basse que la cuisson produisant la céramique sans glaçure.

Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition, société implantée à Pékin.


Photo du haut : stock de tuiles vernies dans la cour de l’entrepôt localisé à Changping de la société Beijing Tong Construction Materials. © Rémi Anicotte (9 juin 2024).

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.