
[Pékin explorateurs] Les bronzes de l'ancien observatoire de Pékin
À Jianguomen, on voit de loin se dresser une tour en briques grises surmontée d’étranges objets en bronze. Il s’agit de l’ancien observatoire de Pékin (gu guan xiang tai 古观象台). Nous y accédons à pied à partir de la sortie C de la station Jianguomen (jonction des lignes 1 et 2 du métro).
En 1420, l’empereur Yongle de la dynastie Ming déplaça le siège de son pouvoir de Nankin vers Pékin, l’ancienne capitale de la dynastie Yuan qu’avait fondée Kubilai Khan. Puis, entre 1439 et 1442, un observatoire fut aménagé, adossé aux remparts, à l’emplacement de la tour d’angle sud-est des murs de la dynastie Yuan, et à proximité de l’observatoire précédent. L’observatoire dépendait d’un « bureau d’astronomie » ayant pour mission principale d’établir le calendrier sur quoi reposait la vie administrative et rituelle de l’empire. Mais la gestion des « experts » et l’évaluation de leur travail n’avait rien d’aisé. La dynastie Yuan avait opté pour une gestion en aveugle avec mise en concurrence d’un bureau d’astronomie han et d’un autre musulman.
Sextant (ji xian yi 纪限仪 ) permettant de mesurer des angles de moins de 60 degrés entre deux points du ciel.
Quant à l’empire Ming, également insatisfait du fonctionnement du bureau, il résolut en 1630 d’y nommer le père jésuite allemand Johann Adam Schall von Bell. Ce dernier était soutenu par Xu Guangqi (徐光启, 1562-1633), l’ancien compagnon de Matteo Ricci (1552-1610) arrivé à Pékin vingt-neuf ans plus tôt en 1601, lui aussi grâce au soutien de Xu Guangqi.
La nomination de Johann Adam Schall von Bell confirmait la stratégie de Matteo Ricci qui promouvait les techniques de calculs calendaires européennes parce qu’il espérait que leur efficacité permettrait aux missionnaires d’entrer dans l’appareil d’État chinois. De fait, Johann Adam Schall von Bell convainquait. Il passa la transition dynastique Ming-Qing de 1644 en conservant son poste au bureau d’astronomie. Pourtant, son équipe, bien qu’en charge d’éditer le calendrier officiel, se trouvait toujours en concurrence avec d’autres. La lutte était féroce puisqu’en 1664, Johann Adam Schall von Bell alors âgé de 72 ans, et son confrère belge Ferdinand Verbiest qui le secondait depuis dix ans se virent jetés en prison en conséquence d’une cabale fomentée par des astronomes- fonctionnaires han et musulmans. Les deux Européens furent libérés l’année suivante grâce à l'intervention de Bumbutaï, l'impératrice douairière Xiaozhuang (veuve de Huangtaiji), mère de Shunzhi, grand-mère de Kangxi.
Quadrant (xiang xian yi 象限仪 ) servant à mesurer des angles inférieurs à 90 degrés entre deux points du ciel.
En 1668, Ferdinand Verbiest fut nommé directeur du bureau de l’astronomie en remplacement de Schall von Bell décédé deux ans avant. En 1673, l’empereur Kangxi lui commanda de superviser la production de six instruments astronomiques en bronze destinés à l’observatoire : ce sont six des huit instruments aujourd’hui disposés sur la plateforme de l’ancien observatoire de Pékin. Par ce projet, l’empereur affirmait sa maîtrise des affaires après avoir éliminé son régent Oboi impliqué dans la cabale contre Schall von Bell et Verbiest. Pour leur part, les jésuites s’empressèrent d’annoncer l’affaire en Europe comme preuve de l’excellence de leur stratégie d’entrisme s’appuyant sur les sciences.
Les six instruments originaux de Ferdinand Verbiest sont encore exposés aujourd’hui :
• Un globe céleste servant de carte du ciel, l’observateur s’imaginant au centre du globe. Sont représentées les constellations chinoises pour l’hémisphère nord, et les constellations européennes pour l’hémisphère sud.
• Un sextant et un quadrant qui sont deux instruments de mesures des angles entre deux points du ciel.
• Un théodolite azimutal permettant de mesurer l’azimut qui est l’angle horizontal par rapport au nord.
• Deux sphères armillaires matérialisant le modèle géocentrique de Tycho Brahe avec des anneaux mobiles (les armilles). L’une était équatoriale (ou équinoxiale) et elle était traditionnelle en Chine. L’autre était écliptique (ou zodiacale) ce qui était plus habituel en Europe. L’usage des sphères armillaires et le modèle géocentrique nous paraissent abscons depuis que nous sommes formés au modèle héliocentrique de Copernic. Alors que Tycho Brahe avait inventé son modèle justement parce que ses contemporains étaient perplexes face au modèle copernicien qui bouleversait leurs représentations mentales.
La « nouvelle » sphère armillaire (ji heng fu chen yi 玑衡抚辰仪 ) installée en 1754 sous le règne de Qianlong. © Rémi Anicotte (18 novembre 2023)
Deux instruments supplémentaires furent ajoutés sur la plateforme par des successeurs de Ferdinand Verbiest :
• Un théodolite altazimutal qui combine un théodolite azimutal et un quadrant et qui de la sorte, en plus de mesurer l’azimut, peut également mesurer l’altitude angulaire comptée à partir de l’horizon. Il fut ajouté en 1715 par Kilian Stumpf (1655-1720) à la demande de l’empereur Kangxi.
• Une « nouvelle » sphère armillaire installée en 1754 à la suite d’une commande de l'empereur Qianlong, petit-fils de Kangxi, initialement passée en 1744 à Ignaz Kögler (1680- 1746) et finalement honorée par son successeur Augustin Hallerstein (1703-1774). Il s’agissait d’une sphère armillaire équatoriale chinoise avec une échelle occidentale de 360 degrés.
Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition,société implantée à Pékin.
Photo du haut : théodolite azimutal (di ping jing yi 地平经仪 ) servant à mesurer l’azimut d’un point du ciel, c’est-à-dire l’angle horizontal compté à partir du nord. En arrière-plan à gauche, le dôme doré de l’hôtel Marriot près des vestiges des remparts Ming. © Rémi Anicotte (18 novembre 2023).
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