
[Pékin explorateurs] La Grande Muraille de Chine à Mutianyu
Les lignes de la Grande Muraille forment une sorte de ceinture longue d’environ 5 000 km d’est en ouest, à partir du fort Shanhaiguan (山海关) en bord de mer, jusqu’au fort Jiayuguan (嘉峪关) dans la région du Gansu. Elle était crénelée du côté nord qui faisait face à l’adversaire potentiel, les Xiongnu dans l’Antiquité, puis les Mongols plus tard. Mais, à Mutianyu, même le côté sud donnant sur les villages de garnison fut crénelé. On y voit une dépense somptuaire d’une utilité défensive douteuse. D’ailleurs, l’efficacité de la Grande Muraille et son rapport coût/efficacité ont toujours semblé bien difficiles à évaluer. Du coup, la politique n’a cessé d’osciller entre des renforcements à certaines époques, et un relatif abandon à d’autres. Les périodes d’abandon correspondaient à des politiques conciliatrices de l’État chinois vis-à-vis des peuples des steppes.
Les sections
de la muraille étaient construites avec des matériaux disponibles ou produits
localement : du pisé (terre battue), des briques cuites (elles sont de couleur
grise et généralement du format palatial, comme celles des administrations
impériales), des pierres (du granit à Mutianyu). Des analyses montrèrent que
le mortier utilisé contenait 3 % de riz gluant, ce qui accroissait sa
résistance. Cette découverte constitua une surprise car l’information avait
été perdue depuis le XVIIe siècle. En fait, la recherche
d’éléments organiques était motivée par les légendes prétendant que la
solidité du mortier était due à la présence d’os humains, voire de sang,
mais de cela on ne trouva nulle trace.
Paysage au nord de
la Grande Muraille. © Rémi Anicotte (6 janvier 2024)
Ces sections étaient aussi ponctuées, en moyenne tous les 75 m (soit la distance de deux portées de flèche), de plate-formes carrées et hautes au moins de 15 m, qui servaient à lancer des alertes avec des fumigènes et des brasiers de jour, et des torches et des brasiers de nuit. Les informations étaient relayées de proche en proche jusqu’à la garnison responsable de la défense locale et jusqu’à la capitale. La vitesse de transmission atteignait 570 km en 24 heures sous la dynastie Han (de 202 avant J.-C. à 220 après J.-C.) et 650 km en 24 heures sous les Tang (de 618 à 907). La Grande Muraille est la structure architecturale ancienne la plus importante en longueur, en surface et en masse. Selon un rapport de 1990, la longueur des murs totalisait 6 259 km, ce qui coïncidait avec la distance entre Shanhaiguan et Jiayuguan, ainsi qu’avec l’appellation traditionnelle chinoise de Grande Muraille de 10 000 lieues (wan li Changcheng 万里长城). En 2009 cependant, l’administration chinoise du patrimoine parlait d’une longueur de 8 851 km, dont 6 259 km de murs, 359 km de tranchées et 2 232 km de barrières naturelles, telles des montagnes ou des rivières. Et depuis 2012, il est désormais question de 21 196 km dont une bonne partie de sections détruites et dont les traces au sol sont seulement discernables sur des photos satellitaires.
La Grande Muraille dès les Royaumes combattants
Du temps de la
dynastie Zhou, jusqu’au IIIe siècle avant J.-C., des
fortifications furent construites à la frontière nord des pays Qin, Zhao et
Yan, qui cherchaient à se protéger ainsi des incursions des Xiongnu, des
éleveurs nomades des steppes septentrionales. À partir de 221 avant J.-C.
(date de l’unification des Royaumes combattants par le premier empereur Qin Shi
Huang), les fortifications des trois anciens royaumes du nord furent jointes en
exploitant une main d’œuvre soumise à la corvée. La littérature populaire
transmit la dureté et la dangerosité de leur travail grâce
à l’histoire des « Pleurs de la Belle Jiang à la Grande Muraille » (Meng
Jiang nü ku Changcheng 孟姜女哭长城 ).
Un bastion de la
Grande Muraille à Mutianyu. © Rémi Anicotte (1er mars 2024)
Sous la dynastie Ming (1368-1644)
En 1368, les empereurs d’ethnie Han de la dynastie Ming conquirent l’empire qui avait été gouverné près de 90 ans par leurs prédécesseurs mongols de la dynastie Yuan. Ils décidèrent l’expulsion de toute la population sur une bande de 200 km au nord de la Grande Muraille, et ils lancèrent des rénovations et des extensions comme celles qui se voient à Mutianyu au nord de Pékin (sur la base de constructions remontant aux Royaumes combattants). Entre 1442 et 1468, ils ajoutèrent des sections à Yanbian dans le Jilin afin de se protéger contre des incursions mongoles et jürchens dans le nord-est. À partir de 1554, l’empereur Jiajing décida l’édification en pisé et sans coffrage de brique, d’une « Grande Muraille sud » (Nanfang Changcheng 南方长城) dans l’ouest du Hunan afin de contenir les Miaos que ne contrôlait pas l’État central. Cette défense militaire fut étendue par ses successeurs Ming et Qing jusqu’à s’allonger sur près de 190 km à la fin du XVIIie siècle. Elle fut démantelée à partir de 1936. Aujourd’hui, il en reste quelques vestiges qui se visitent à proximité de Fenghuang dans le Hunan.
Sous la dynastie Qing (1644-1911) et à l’époque moderne
La Grande Muraille septentrionale fut abandonnée en 1644 car les empereurs mandchous de la dynastie Qing contrôlaient la Mongolie. Cependant, la Grande Muraille sud était toujours entretenue. Finalement, le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987 impliqua des rénovations partielles liées à la conservation du patrimoine et au tourisme, et ce travail nécessita des recherches scientifiques sur les techniques de construction oubliées depuis le XVIIe siècle.
Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition, société implantée à Pékin.
Photo du haut : © Pexels
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