
Ningxia, Mongolie-Intérieure, Tibet : l'expérience d'un voyage pas comme les autres
Du Ningxia au Qinghai…
Le départ de notre périple a lieu depuis Pékin à bord d’un Comac C919, premier avion de ligne entièrement chinois, à destination de Yinchuan, capitale de la province autonome du Ningxia. Autonome car c’est une province peuplée de Hui, minorité musulmane qui très tôt dans l’histoire de la Chine et de l’Asie centrale a fait le lien commercial entre ces différentes parties de l’Asie. De magnifiques mosquées construites sous la dynastie Qing (1644-1911) témoignent aujourd’hui encore de cette présence séculaire. Mais le Ningxia est connu des historiens pour avoir été un haut lieu de la dynastie des Xia (1038-1227), mieux connue sous le nom de Tangoutes. Redoutables guerriers, ils ont donné du fil à retordre à la fois aux Mongols et aux Chinois de la dynastie Song (960-1279). Sur le site de Qingtongxia, la nécropole de leurs souverains est entourée d’un écrin grandiose que forme la chaîne des montagnes Helan. Ces dernières culminent à 3 556 mètres et rappellent au voyageur la rudesse de ce climat. Balayé par les vents, les cultures des sols ne seraient guère possibles sans l’ingéniosité des paysans qui dès l’époque des Han (IIe siècle avant notre ère) ont développé un impressionnant réseau d’irrigation. Grâce à ce maillage, le désert est contenu et les habitants du Ningxia peuvent quotidiennement consommer d’excellents légumes ! Cette eau précieuse est pour partie acheminée depuis le fleuve Jaune. Fleuve nourricier s’il en est, il est associé à l’histoire même de la civilisation chinoise. Il serpente depuis la province du Qinghai à travers de vastes étendues arides pour se jeter en mer de Chine. Les légendes qui l’accompagnent (l’Empereur Jaune, Yu le Grand…) en font l’un des topos les plus célèbres de la culture chinoise. Avec la Grande Muraille dont nous traversons la passe à Sanguankou, il compte parmi les marqueurs identitaires les plus célèbres du pays.
Le désert de Badain Jaran. © Xinhua
Sur la route d’Alxa Zuoqi, nous traversons une autre province, celle de la Mongolie-Intérieure. La région est riche en minerais (terres rares) et en charbon. Des parcs éoliens accueillent le voyageur dans cette région située aux portes du désert de Badain Jaran, la partie la plus méridionale, la plus sableuse et la plus secrète du grand désert de Gobi. Le Gobi, nom d’origine mongol qui signifie « cuvette », est en fait composé d’un chapelet de différentes poches désertiques qui se succèdent depuis l'Altaï et les montagnes de Tianshan jusqu'au fleuve Jaune. Le désert de Badain Jaran, est entièrement inclus dans le géoparc national d'Alashan classé par l'UNESCO. C’est le troisième plus grand désert chinois, couvrant près de 49 000 km² du Gansu jusqu'à la frontière mongole. En langue mongole, Badain Jaran se traduit par « lacs mystérieux ». Il abrite en effet le plus large ensemble de lacs désertiques au monde. On traverse les dunes les plus hautes de la planète, ponctuées d'une centaine de sources aux eaux limpides et de lacs extraordinaires alimentés par l'eau de la fonte des neiges des monts Qilian et par les faibles pluies qui arrosent le paysage. Ces dunes sont formées par le vent qui souffle des steppes d'Asie centrale et qui se vide de son sable en approchant du plateau tibétain. Leur stabilité est surprenante et c'est dans ce décor ocre et or que vivent une petite centaine d'habitants dans quelques villages fantomatiques. On y croise les derniers chameaux sauvages d'Asie, les chameaux dits de la Bactriane. Au détour des dunes, se trouve le temple bouddhiste Shuan Haize construit en 1868, le seul de tout le désert. Une pagode blanche fait face au temple.
En quittant le désert, nous mettons le cap vers Zhangye. Ancienne commanderie sur la « route de la soie » entourée par une plaine verdoyante plantée de peupliers, Zhangye occupe un lieu stratégique du Hexi, ce couloir situé à l’ouest du fleuve Jaune, au cœur de la province du Gansu. On y visite le temple du Grand Bouddha fondé au XIe siècle. Il abrite un imposant Bouddha couché de 34 mètres de long, le plus grand du pays. On dit que la mère du conquérant Gengis Khan a vécu dans le monastère attenant. Haut lieu de spiritualité, ce sanctuaire s’ajoute aux grottes bouddhiques de style tibétain de Mati Si que l’on visite en périphérie de Zhangye. C’est depuis cette oasis que nous prenons le TGV à destination de Xining, dans la province du Qinghai. La beauté des paysages est à couper le souffle ! 700 kilomètres et deux heures plus loin, nous voici à Xining. Ancien centre caravanier entre le Tibet central et les régions orientales de la Chine, Xining était une place commerciale importante. Les principales minorités ethniques cohabitant au Qinghai sont des Tibétains, des Hui, des Mongols, des Mandchous, des Tu et des Salars. On ne peut ne pas visiter le monastère lamaïque de Ta’er (Kumbun) situé à quelques kilomètres de Xining. Des centaines de moines y vivent en suivant les règles du fondateur de Tsong-kha Pa (XIVe siècle), grand fondateur de l’école des Gelugpa ou secte des Bonnets Jaunes. Ses reliques y sont vénérées. L’extraordinaire ferveur qui les anime, la foi des pèlerins qui s’y rendent nombreux et souvent en famille contraste avec les bouleversements qu’a connu la région. Il n’est pas rare de voir des Tibétains au volant de grosse cylindrées électriques, preuves de leur réussite sociale et qui ont manifestement bénéficié des transformations de la région ; celles apportées notamment par l’installation de la ligne ferroviaire Pékin-Lhassa. C’est aujourd’hui le plus haut train du monde (5 072 m).
Du Qinghai au Tibet…
De la toundra aux sommets étincelants du Kunlun puis aux lacs émeraude du plateau tibétain, le ciel se fait plus bleu et l’oxygène plus rare. Même dans le confort d’un train climatisé, la cité sacrée du lamaïsme impose une ascension enivrante. Dernière conquête du rail, cette ligne qui est un « miracle technique » aux yeux des ingénieurs chinois. C’est d’abord une route ouverte au cœur d’un panorama à l’austère beauté, dans l’un des derniers espaces intouchés de la planète. Nez à la fenêtre, le voyageur salue avec enthousiasme les troupeaux de yaks, les ânes sauvages et les antilopes tibétaines. Ville sainte pour les bouddhistes, grâce au célèbre Jokhang, surnommé « cathédrale du bouddhisme », et au palais du Potala, Lhassa reçoit la visite de nombreux pèlerins qui affluent de tout le Tibet. La ville fut fondée par le roi Songtsen Gampo au VIIe siècle. Venu du Yarlung, son évocation nous invite à découvrir les origines de la culture tibétaine en nous rendant dans la vallée du Yarlung. Nous nous y rendons en nous arrêtant au monastère de Sera. Véritable université théologique, on y voit des dizaines de moines argumenter des points de doctrine qu’ils accompagnent d’une gestuelle particulière. Haut lieu du bouddhisme tantrique, il nous rappelle aussi le rôle fondateur de l’un des grands missionnaires venus de la vallée de la Swat (actuel Pakistan), Padmasambhava (VIIIe siècle), dont la mémoire est tout particulièrement vénérée au monastère de Samye. Sa construction symbolique correspond à une cosmogonie qui établit le mont Meru comme centre de l'Univers. À sa proximité se trouve Yongbulakhang, sanctuaire fortifié dont l'origine est associée au premier roi mythique Nyatri Tsenpo et qui serait selon la tradition l’un des édifices les plus anciens du Tibet. Notre voyage se termine par la visite de Gyantse. La ville est dominée par un piton rocheux sur lequel s’élèvent les ruines d’une citadelle, qui fut détruite par un corps expéditionnaire britannique venu depuis l’Inde voisine en 1904. En contrebas est la lamaserie de Palkhorchöde, grand trésor culturel du Tibet. De très nombreuses chapelles aux peintures et aux statues exceptionnelles rappellent l’extraordinaire richesse de ce patrimoine et les nombreux échanges établis avec les empereurs mandchous. Un voyage qui ne peut laisser indifférent et qui associe à la fois l’expérience du sensible au goût pour l’histoire dans toute sa diversité.
Emmanuel Lincot est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.
Photo du haut : toit du temple du Jokhang. Antoine Taveneaux, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.
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