Disparition de Yu Kongjian, pionnier de l’écologie urbaine chinoise et de la ville-éponge

1763991606699 China News Pei Xinyu
Le 23 septembre 2025, Yu Kongjian, figure emblématique du paysagisme contemporain et théoricien du concept de la « ville-éponge », est décédé dans un accident d'hélicoptère au Brésil. Architecte, enseignant et éditeur, il a su incarner la pensée écologique chinoise en la transformant en paysages réels et durables, laissant derrière lui un héritage mondialement reconnu.

Il se trouvait au Brésil pour participer au tournage du documentaire La Planète Éponge, consacré à la protection des écosystèmes urbains. Quelques heures seulement avant le drame, ce fervent défenseur de la « ville-éponge » (Sponge City) – un concept qu'il avait lui-même théorisé – lançait un dernier appel, presque prémonitoire, sur les réseaux sociaux : « Notre dernier jardin d'Éden se meurt ; d'où viendra désormais l'espoir de survie pour l'humanité ? »

De la ville-éponge à la contre-planification, en passant par la « révolution des grands pieds » (The Big-Foot Revolution), celui qui n'a cessé de prôner l'harmonie entre l'homme et la nature repose désormais dans la terre qu'il a tant chérie.

Aux sources d’une vocation écologique

Il est né en 1963 dans le village de Dongyu, dans la province du Zhejiang, dans l’est de la Chine. Sa sensibilité écologique puise ses racines dans le bois Fengshui qui bordait son village et dans le ruisseau Baisha qui coulait devant chez lui. « Je suis tombé dans le ruisseau Baisha lors d’une inondation. Si je n’y ai pas laissé la vie, c’est grâce à la végétation qui longeait les berges », racontait-il souvent. Cet épisode marqua durablement sa pensée. Dès lors, Yu Kongjian n’a cessé de réfléchir aux relations entre l’eau et l’espace : pour lui, une rivière doit être à la fois bleue et verte, et l’eau, pour vivre, doit disposer de son propre espace, avancer lentement plutôt que de se précipiter.

Né dans une famille d’agriculteurs, il gardait les bœufs et travaillait aux champs. Les trente-six seuils et les sept étangs de son village lui avaient inculqué une sagesse pratique, indispensable pour affronter le climat de mousson. Ces observations, menées depuis l’enfance, ont posé les fondations de sa future théorie de la « ville-éponge ».

En 1980, Yu Kongjian fut admis à l’Université forestière de Pékin, devenant le premier de son lycée – parmi 600 élèves – à accéder à l’enseignement supérieur. Spécialisé en paysagisme, il y obtint successivement sa licence et son master. Durant ses études de master, il parcourut la Chine en tous sens, témoin des conflits fonciers et de la dégradation écologique du pays. Ces expériences de terrain renforcèrent sa conviction que le paysagisme devait servir à résoudre les problèmes réels, et non à les contourner. En 1992, il partit aux États-Unis et obtint, trois ans plus tard, un doctorat en planification urbaine et en architecture du paysage à l’Université Harvard. Malgré les nombreuses opportunités professionnelles que lui offrait l’Amérique, son cœur demeurait viscéralement attaché à sa patrie.

L’homme de la terre

À son retour des États-Unis en 1997, Yu Kongjian se jeta corps et âme dans la cause du paysagisme, fort d’une vision internationale et d’un attachement profond à sa terre natale. Fidèle à sa conviction que « le Ciel, la Terre et l’Homme ne font qu’un », il fonda successivement le Centre de recherche sur la planification et le paysagisme, l’Académie de recherche sur le paysage, ainsi que le département d’architecture et de paysage de l’Université de Pékin. Il fut également à l’origine de la revue académique Landscape Architecture Frontiers. À cette époque, le paysagisme n’en était encore qu’à ses balbutiements en Chine. C’est pourquoi Yu Kongjian créa deux programmes de master afin de promouvoir et de structurer cette discipline émergente.

« Je m’appelle Turen – “l’homme de la terre” – et mon équipe porte le même nom », disait-il souvent. Amoureux de la terre, il fit de Turenscape, le cabinet d’architecture qu’il fonda, l’un des établissements les plus reconnus du pays. Sa mission était claire : imaginer des solutions pour réconcilier l’homme et la nature.

Liu Xiangjun, l’un de ses collaborateurs depuis vingt ans, se souvient : « Le docteur Yu participait à presque toutes les étapes de nos projets, aux côtés des architectes. » Son approche, fondée sur l’apprentissage par la pratique, a permis de former une génération entière de professionnels opérationnels. Aujourd’hui, ses anciens élèves, disséminés aux quatre coins du monde, comptent parmi les piliers du paysagisme contemporain. « Où que vous alliez, n’oubliez jamais que vous êtes des hommes de la terre », aimait-il à leur rappeler à la fin de leurs études. Une phrase devenue, pour beaucoup, une véritable boussole.


Bâtisseur de villes vivantes

Tout au long de sa vie, Yu Kongjian a mis en pratique sa philosophie unique : « penser comme un roi et agir comme un paysan ». L’esthétique des « grands pieds », l’un de ses concepts phares, prônait un retour à la nature et une vision écologique profondément ancrée dans le territoire. Il a également formalisé des théories majeures, telles que la « configuration de la sécurité écologique » et la « contre-planification », qui visent à intégrer systématiquement l'écologie et les infrastructures végétales dans l'aménagement urbain.

La « ville-éponge » reste le legs le plus marquant de Yu Kongjian. Comme son nom l’indique, elle doit, à l'image d'une éponge, absorber l'eau de pluie, la stocker, puis la restituer lorsque le besoin s'en fait sentir. En s'appuyant sur des zones humides et des revêtements perméables, elle régule naturellement les excès et les pénuries d'eau. En 2015, ce concept a été érigé au rang de stratégie nationale en Chine, incitant de nombreuses villes à l'adopter pour une gestion plus résiliente des inondations.

Les réalisations de Yu Kongjian, nombreuses et emblématiques, en sont la preuve vivante. Dès 2001, à Zhongshan (Guangdong), un ancien chantier naval a été métamorphosé en parc Qijiang, alliant écologie et modernité. En 2004, le parc Yongding de Taizhou (Zhejiang) a retrouvé son état naturel après le démantèlement des digues de béton qui corsetaient sa rivière. En 2008, un champ de tir désaffecté à Tianjin a été reconverti en une précieuse zone humide. Enfin, le parc Houtan de Shanghai demeure l'exemple le plus célèbre de la renaissance écologique d'une friche industrielle. Ce dernier projet s'est vu décerner le prix ASLA (American Society of Landscape Architects), une distinction considérée comme l'équivalent d'un Oscar dans le milieu du paysage, confirmant la portée internationale de son œuvre.

L'incarnation de la pensée écologique chinoise

Sélectionné en septembre 2025 par le magazine Forbes dans son classement « Les Pionniers du développement durable », Yu Kongjian était le seul chercheur chinois à figurer sur cette liste. Peu avant sa disparition, deux de ses projets – le parc Yuweizhou à Nanchang et le parc Meishe Hefengxiang à Haikou – ont respectivement remporté le grand prix dans la catégorie Design général et un prix d'honneur dans la catégorie Design urbain, décernés par l'ASLA.

Il comptait parmi les rares chercheurs chinois à avoir été couronné à plusieurs reprises par les plus prestigieuses distinctions internationales en paysagisme écologique. Il a notamment reçu le prix Cornelia Hahn Oberlander en 2023 et le Sir Geoffrey Jellicoe Award en 2020. Élu à l'Académie américaine des arts et des sciences, il a aussi siégé au jury de plusieurs prix internationaux, dont le prix Aga Khan d'architecture, témoignant de l'ampleur de son expertise et de son influence dans le domaine.

Par ses réalisations écologiques, à la fois concrètes et universellement accessibles, Yu Kongjian a offert à la communauté internationale une clé pour comprendre la sagesse orientale de l'harmonie entre l'homme et la nature. Il a incarné la pensée écologique chinoise en la transformant en paysages tangibles et durables, lui conférant une reconnaissance et une visibilité planétaires.

À l'annonce de son décès, le président brésilien Lula a salué la pertinence du concept de « ville-éponge », soulignant qu'il représente une solution viable pour concilier qualité de vie et protection de l'environnement – un modèle dont le monde a urgemment besoin.


Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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