L’internationalisation du yuan (2/2) : Comment les Français utilisent le RMB

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Alipay, Wechat Pay, Cartes UnionPay, solutions spécifiques proposées par la Bank of China et Ebury... En France, les outils pour faciliter l’utilisation du RMB, la monnaie chinoise, se multiplient. La preuve par cinq exemples.

Doucement mais surement, le RMB – la devise officielle de la Chine – est adoptée par un nombre croissant de Français, essentiellement des entreprises, sur fond d’internationalisation de la monnaie chinoise. Trois événements majeurs y ont largement contribué : l’ouverture, en septembre 2014 à Paris, de la chambre de compensation1 en RMB offshore (lire encadré) au sein de la Bank of China Paris Branch ; l’entrée, en octobre 2016, du RMB dans le panier des DTS (droits de tirage spéciaux) du Fonds monétaire international2 ; enfin, l’intégration, en janvier 2018, du RMB par la Banque de France dans ses réserves de change3. Autant de signes qui témoignent d’une tendance de fond : la monnaie chinoise est de plus en plus reconnue comme une monnaie qui compte dans les transactions internationales.

Force est toutefois d’observer un paradoxe criant : alors que la Chine s’est, dès 2013, imposée comme la première puissance commerciale du monde devant les États-Unis (4 160 milliards de dollars) -- tant en exportations (2 210 milliards) qu’en importations (1 950 milliards) --, le RMB, sa monnaie, ne représente encore que 2,15 % des facturations ou règlements des transactions internationales, contre 40 % pour le dollar (SWIFT, 1er mars 2019). Autre chiffre, qui met en lumière un phénomène tout aussi paradoxal (FMI, décembre 2018) : alors que le PIB chinois pèse environ 16 % du total mondial, le RMB ne constitue que 1,80 % des réserves de change de la planète, contre 61,94 % pour le dollar.

Pour autant, la montée en puissance du RMB est sur les rails, inéluctable. En effet, si le RMB ne représente que 2,15 % des transactions facturées et réglées au niveau mondial, sa part n’était que de 1,68 % fin 2017. Si le RMB n’occupe que 1,80 % des réserves de change mondiales, plus de soixante États dont la France l’ont d’ores et déjà inclus dans leurs réserves de change - un phénomène quasi inexistant il y a six ans. Et, selon les prévisions de HSBC, la part du RMB dans les réserves de change mondiales pourrait dépasser les 7 % en 2020 avant d’atteindre les 10 % en 2025.

C’est donc dans un contexte globalement porteur que le RMB a peu à peu pénétré dans le tissu économique hexagonal. Pour les Français, l’utilisation de la monnaie chinoise présente plusieurs avantages : elle permet aux importateurs de libérer leurs fournisseurs chinois du risque de change et, en retour, de négocier une réduction de prix ; elle permet aux exportateurs (qui acceptent de vendre en monnaie chinoise) de fidéliser voire d’élargir leur clientèle d’acheteurs chinois ; elle permet aussi de réduire les coûts de financement : les obligations libellées en RMB offrent non seulement une source compétitive de financement et donc une alternative au dollar ou à l’euro par exemple, mais aussi la possibilité d’exploiter une nouvelle base d’investisseurs en quête d’actifs en monnaie chinoise. La liste n’est pas exhaustive.

Ce qui nous intéresse ici, c’est de braquer notre projecteur sur cinq sociétés françaises ou établies en France et qui, chacune à sa manière, jouent un rôle très actif dans la promotion du RMB auprès des Français.

1. Bank of China Paris Branch : le privilège d’accéder au RMB onshore

Implantée en France depuis plus de trente ans, la Bank of China Paris Branch a été désignée en 2014 par la Banque centrale chinoise comme le centre de compensation en RMB en France. À ce titre, elle offre à ses clients un privilège : celui de leur permettre d’accéder au marché du RMB onshore.

Comme le rappelle Philippe Bourguignon, responsable des marchés financiers de Bank of China à Paris, « il existe deux marchés des changes du RMB : le marché onshore (à l’intérieur de la Chine) et le marché offshore (à l’extérieur de la Chine). Le premier est réservé à la négociation du RMB entre agents économiques à l’intérieur de la Chine continentale. Le second, lui, est ouvert à l’ensemble des banques et des utilisateurs des marchés internationaux et alimenté par une liquidité qui se trouve essentiellement à Hong Kong. » Ainsi, si le RMB est une seule et unique monnaie, il est négocié à deux taux de change différents selon qu’il est coté à Pékin ou à Hong Kong. À Pékin, son taux fluctue à l’intérieur de bornes déterminées par la Banque centrale chinoise ; à Hong Kong, il est déterminé par l'offre et la demande privée. Il est donc fréquent de voir un écart de taux entre le RMB offshore et le RMB onshore. « À l’heure où je vous parle, quand un dollar vaut 6,7120 yuans [NDLR : unité de valeur du RMB] sur le marché offshore, il se traite à 6,7060 yuans sur le marché onshore », fait remarquer P. Bourguignon. En tant que centre de compensation en RMB, la Bank of China Paris Branch reste, en France, la seule banque à pouvoir donner accès au RMB onshore. Selon Philippe Bourguignon, « si le client souhaite acheter du dollar en utilisant des yuans, cela lui coûte moins cher d’aller sur le marché onshore que sur le marché offshore ».

Philippe Bourguignon

Et pour promouvoir l’utilisation du RMB, la Bank of China Paris Branch a lancé, en septembre 2018, une carte d’un genre nouveau : la carte multidevises Great Wall International d’UnionPay. Sa principale particularité : permettre de payer en deux devises : le RMB, si le règlement s’effectue en Chine ; ou l’euro si le paiement est opéré dans la zone euro. La conversion se fait automatiquement, et, surtout, sans frais de change, ce qui est extrêmement avantageux pour ses utilisateurs. Certes, la carte multi-devises ne s’adresse pour l’instant qu’aux particuliers, mais la banque chinoise réfléchit à la possibilité de l’ouvrir aux entreprises. Un moyen supplémentaire d’internationaliser la monnaie chinoise.

RMB onshore, RMB offshore : quelle différence ?

Le RMB, aussi appelé « yuan », est l’abréviation derenminbi, qui signifie « la monnaie du peuple ». C’est le nom officiel de la devise nationale chinoise. À la différence du dollar et de l’euro par exemple, le RMB n’est pas une monnaie librement convertible, et son taux de change est contrôlé par la Banque centrale chinoise.

En 2009, le gouvernement chinois a décidé d’internationaliser le RMB afin de le rendre pleinement convertible et donc utilisable partout dans le monde. Il a aussi décidé de faire en sorte qu’à terme le taux de change de sa monnaie soit déterminé par l’offre et la demande. Dans le but d’y parvenir sans provoquer de catastrophes financières préjudiciables à l’économie chinoise, Pékin a trouvé une solution pragmatique : mettre en place, à l’extérieur de la Chine continentale, à Hong Kong plus précisément, un système de change différent où le taux de change est fixé par l’offre et la demande, comme dans les économies de marché. D’où l’apparition du RMBoffshore(à l’extérieur), par opposition du RMBonshore(à l’intérieur). Mais attention : s’il existe deux taux de change différents, la Chine n’a qu’une seule monnaie : le RMB.

2. La carte UnionPay : un puissant canal de distribution du RMB

Fondée en 2002 avec l’autorisation de la Banque centrale chinoise, UnionPay est, en Chine continentale, l’unique groupement de réseaux de cartes bancaires. Depuis juin 2015, elle s’est imposée comme premier émetteur de cartes au niveau mondial (7 milliards d’unités dans 48 pays), devant Visa, avec un volume de transactions atteignant les 11 800 milliards de yuans, soit 1 900 milliards de dollars.

C’est à la suite d’un partenariat conclu en décembre 2005 avec le Crédit agricole, deuxième groupe bancaire français derrière BNP Paribas, qu’UnionPay est venue s’implanter sur le sol français. Depuis avril 2006, ses cartes sont utilisables via les réseaux de plusieurs groupes bancaires français, tels que le Crédit agricole, BPCE (groupe issu de la fusion de la Caisse nationale des Caisses d’Epargne et de la Banque fédérale des Banques populaires) et la Société générale. Aujourd’hui, les touristes chinois titulaires de cartes UnionPay peuvent effectuer des retraits dans 70 % des distributeurs de billets en France et peuvent régler leurs achats par carte, mais uniquement dans des enseignes partenaires, ce qui les contraint toutefois à avoir sur eux de l’argent liquide.

Mais les choses vont changer à compter de la mi-2019. Suite à un partenariat entre UnionPay International et le groupement Cartes bancaires (CB), les paiements par carte UnionPay devraient s'installer progressivement sur le parc des commerçants hexagonaux. Une opération qui pourra amplifier les possibilités d'achat des visiteurs chinois en France, créer une manne d’environ 3,5 milliards d’euros pour les commerçants français, et contribuer à l’internationalisation de la monnaie chinoise.

« Payer en dollar expose à un double risque : le risque de change, mais aussi celui de voir les fournisseurs chinois surfacturer pour compenser les frais de change que ceux-ci doivent régler en convertissant leurs dollars en RMB. »

3. Ebury : un fervent défenseur du règlement en RMB

Basée à Paris, la société Ebury s’est fixé l’objectif d’aider les PME tricolores dans leurs transactions internationales pour leur permettre de tirer le meilleur parti du marché mondial. Outre les solutions de financement – elle peut débloquer jusqu’à 1 million d’euros sur 150 jours – Ebury propose de payer les fournisseurs de ses clients importateurs dans 140 devises, dont... le RMB.

Aujourd’hui, Ebury dispose d’un bureau de 20 personnes à Hong Kong. L’une de ses missions sur place consiste à expliquer aux fournisseurs chinois de ses clients importateurs français tous les avantages dont ils pourront bénéficier en acceptant d’être réglés en RMB. Parmi lesquels, l’absence du risque de change et la possibilité d’en retirer des avantages fiscaux (remise de TVA, etc.). « Par manque d’information, certains fournisseurs chinois pensaient qu’ils ne pouvaient en bénéficier que s’ils étaient payés en dollar », explique Sullivan Joubert, responsable de l’équipe Trading Forex France/Suisse romande d’Ebury. « Avec pédagogie, nous leur expliquons qu’ils vont recevoir les mêmes avantages qu’avec le règlement en dollar, mais sans le risque de change. » Le travail de l’équipe hongkongaise a porté ses fruits : à présent, le taux de conversion est passé de 20-30 % à 80 %.

Quels sont alors les avantages pour les clients français d’Ebury ? « Ils sont multiples », précise S. Joubert. D’abord, payer directement en RMB leur permet de réaliser des économies sur le montant de leurs factures. En effet, lorsqu’ils importent des produits chinois, les fournisseurs français sont obligatoirement amenés à payer dans une devise étrangère, que ce soit en dollar ou en RMB la plupart du temps. Or payer en dollar les expose à un double risque : le risque de change, mais aussi celui de voir leurs fournisseurs chinois les surfacturer pour compenser les frais de change que ceux-ci doivent régler en convertissant leurs dollars en RMB.

Sullivan Joubert

Deuxième avantage : le paiement en RMB permet de se couvrir contre les conséquences du risque de change subi par ses fournisseurs chinois. Sullivan Joubert explique : « Parfois, alors que nos clients sont couverts contre le risque de change, leurs fournisseurs chinois, eux, ne le sont pas. Résultat, quand le dollar se déprécie fortement face au RMB, les fournisseurs chinois voient leurs marges réduites de façon mécanique. C’est ce qui s’est passé entre décembre 2017 et mars-avril 2018 : le dollar ayant perdu 7 % par rapport au RMB, certains fournisseurs de nos clients se sont retrouvés avec une marge inférieure à 7 %. Ils ont alors demandé à renégocier les prix, ce qui était problématique pour nos clients, puisqu’ils ont fondé leurs couvertures de change sur la base des prix qui avaient été négociés avec leurs fournisseurs en début d’année, et ils risquent de payer plus de dollars que prévu. »

Enfin, Ebury a la possibilité de négocier un taux de change annualisé donc plus compétitif – avec leurs fournisseurs chinois de leurs clients. Si le cours du marché est de 1 euro pour 7,80 yuans (RMB) par exemple, Ebury pourrait obtenir une parité de 1 euro pour 7,70 ou 7,75 yuans, même si l’obtention d’un taux plus favorable n’est pas systématique.

4. Silkpay, un facilitateur du paiement en RMB

Fondée en 2017 à Paris, Silkpay est une start-up fintech implantée dans l’incubateur Village by CA géré par le Crédit agricole. Son activité consiste à promouvoir les moyens de paiement mobile chinois en France et dans d’autres pays d’Europe. Comment ? En proposant aux commerçants français et européens d’installer chez eux Alipay ou Wechat Pay, les deux solutions de paiement mobile les plus connues en Chine. Cela leur permet d’accéder à une clientèle de touristes chinois et d’accroître ainsi leur potentiel de chiffre d’affaires.

Selon Annie Guo, fondatrice de Silkpay, « Alipay est le portefeuille électronique du groupe Alibaba, numéro un du commerce électronique en Chine, avec une part de marché de 55 %, soit 760 millions d’utilisateurs. Wechat Pay, quant à lui, est le portefeuille électronique de Wechat, un réseau social chinois qui compte un milliard d’utilisateurs actifs. Aujourd’hui, Wechat Pay s’est imposé comme numéro deux du portefeuille électronique en Chine avec une part de marché de 43 %, juste derrière Alipay. Les deux monopolisent le marché du paiement mobile chinois. »

Annie Guo

En France, Silkpay a déjà équipé plus de 450 commerçants. Parmi eux : Rolex, Accor Hotels, Franprix... « Il y a deux ans, nous avons rencontré beaucoup de réticences, se souvient Annie Guo, car les commerçants français avaient une méconnaissance totale d’Alipay et de Wechat Pay. Mais aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à venir nous voir, et nous recevons des appels tous les jours. Pour eux, c’est un outil supplémentaire pour attirer les clients, en l’occurrence les touristes chinois. »

Concrètement, quand un touriste chinois fait ses courses chez un commerçant français, il règle en RMB avec son mobile équipé d’Alipay ou de Wechat Pay ; son vendeur, quant à lui, est payé en euro : le transfert se fait automatiquement. Toujours selon Annie Guo, les frais de transfert restent faibles, et les commerçants qui participent au programme de fidélisation de Silkpay peuvent gagner des commissions selon leur performance.

Ainsi, grâce aux solutions de paiement Alipay et Wechat Pay qu’elle tente de promouvoir en France et en Europe, la société Silkpay a contribué à l’internationalisation du RMB. Non seulement un nombre croissant de commerçants français et européens connaissent la monnaie chinoise, mais surtout ils l’utilisent désormais tous les jours. « Notre objectif est d’atteindre rapidement l’équivalent de 10 millions d’euros de transactions par mois, et nous n’en sommes pas loin », affirme Annie Guo.

«Le paiement en RMB permet de se couvrir contre les conséquences du risque de change subi par les fournisseurs chinois.»

5. Ai Shopping Paris : une « appli » qui aide les Chinois à payer dans leur propre devise

Créée en 2015, la start-up Ai Shopping Paris vise un double objectif : d’une part, faire découvrir aux Chinois, via leurs réseaux sociaux, les authentiques marques françaises et européennes encore peu connues en Chine ; d’autre part, aider les Chinois à acheter du Made in France, soit en boutique quand ils viennent en touristes, soit en ligne lorsqu’ils restent dans leur pays.

À la différence de Silkpay, Ai Shopping Paris ne promeut pas les solutions de paiement Alipay et Wechat Pay auprès des commerçants, mais incite les touristes chinois à les utiliser dans les magasins, via des actions marketing sur l’application Alipay en tant que partenaire marketing d’Alipay. Pour les touristes en visite en France, notamment à Paris, Ai Shopping Paris a conçu une quinzaine de parcours shopping. L’idée est de les amener, lors d’une promenade découverte très agréable, dans les magasins partenaires d’Ai Shopping Paris qui acceptent les paiements via Alipay et Wechat. En drainant ainsi vers la France nombre de touristes chinois, la start-up Ai Shopping Paris apporte, elle aussi, sa part de contribution à l’internationalisation du RMB.

Camille CHEN

Spécialiste des questions économiques, Camille-Yihua Chen est rédactrice en chef à Radio LCF - La Chine en français. Elle est en outre auteure de RMB, la monnaie qui monte (Pacifica, 2015)

Cet article fait suite à « L’internationalisation du yuan (1/2) : les vrais enjeux du pétro-yuan » de la même auteure, paru en février 2019 dans Le 9 n°14.

1. Une chambre de compensation assure la compensation des mouvements créditeurs et débiteurs entre les banques qui n’ont pas de relation de compte directe et qui sont ses adhérents. Cela permet de simplifier le règlement de leurs créances et de leurs dettes.

2. Instrument monétaire international, créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres.

3. Avoirs en devises étrangères et en or détenus par une banque centrale.

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