« Déyún nǚhái », quand l’Internet bouscule le monde de l’humour en Chine

1603295899000 Chine-info Hu Wenyan

Tous les quinze jours, la rédaction décortique pour vous un phénomène social ou culturel à travers le jargon de l’Internet chinois. Au menu cette semaine : Déyúnnuhái (德云女孩), les fans féminines de K-pop, qui tombent sous le charme du xiangsheng, un style comique traditionnel de stand-up à la chinoise, habituellement prisé par un public masculin d'âge mûr. Ce nouveau phénomène ravive le débat sur le déclin et la renaissance du xiangsheng à l’ère numérique.

2018, année zéro de la fabrication des idols chinois. Les concours de talents se multiplient, les boys bands et les girls bands sont dans l’air du temps. C’est à ce moment que le comédien de xiangsheng, Zhang Yunlei, formé dans le très célèbre atelier Deyun*, a fait une entrée fracassante sur le devant de la scène. Dans le Baromètre divertissement 2018, avec pour sous-titre la « Nouvelle révolution de l'industrie des idols », ce vingtenaire très branché s’est classé parmi les dix étoiles montantes. Une première dans l’histoire du xiangsheng, qui renvoie souvent une image vieillotte et poussiéreuse, surtout auprès d’un jeune public.

Grâce aux plateformes de vidéos courtes, Zhang Yunlei réussit à atteindre un large public, sa ballade pékinoise Visiting the Qingshui River inondant les réseaux sociaux. « Le succès fulgurant de Zhang montre que le xiangsheng est officiellement entré dans l'ère du digital, où les audiences du Web font loi », observent les notes de recherches du Baromètre. Selon les chiffres de Youku sur l’atelier Deyun, les moins de 34 ans représentent 64 % du total de ses spectateurs en 2019, en progression de 13 points sur un an ; le nombre de spectatrices ayant progressé de 240 % en 2018.

C’est dans ce contexte que les Déyúnnuhái, amatrices de xiangsheng de l’atelier Deyun, s’imposent comme un phénomène de société. Enfants du numérique, ces jeunes femmes surfent sur la culture Web et la viralité des réseaux sociaux pour amplifier l’influence de leurs comédiens de xiangsheng favoris.

Zhang Yunlei (gauche) et son partenaire lors d'une représentation de xiangsheng © Douban

Qui sont les Déyúnnuhái et leur mode opératoire

Elles ont entre 15 et 25 ans, préfèrent le thé à l’alcool et aiment écouter de la musique traditionnelles plutôt que faire la fête.

En 2018, Xiao Guai, Pékinoise de 19 ans, a fondé le club des fans de Zhang Yunlei. Forte de 2 000 membres actifs, la communauté s’active sur tous les fronts de Weibo : opérations coordonnées, hashtags, mèmes, modération de commentaires et votes dans différents palmarès... Des procédés souvent utilisés par les fans de la K-pop, pour faire la promotion des idols.

Lors des spectacles de Zhang Yunlei, ses fans brandissent des bâtons lumineux, comme dans un concert. Du jamais vu pour un art traditionnel chinois. « Certaines sont séduites par son physique, d’autres par ses compétences. Ce qui m’attire le plus, c’est sa passion pour les arts traditionnels chinois », explique Xiao Guai, une fan absolue qui achète ses EP et tous les produits dont son idol est l’ambassadeur…

Guo Degang, co-fondateur de l’atelier Deyun, garde un regard lucide sur la percée de son disciple. « Il ressemble davantage à un gourou d’une secte qu’à un comédien de xiangsheng. S’il était là à simplement manger des nouilles, ses fans l’applaudiraient quand même », juge ce maître de xiangsheng, connu pour son talent de tribun.

Vidéo - Zhang Yunlei et son partenaire Yang Jiulang lors d'une représentation à Shenyan :

Le renouveau du xiangsheng...

Né sous la dynastie Qing (1644-1912), le xiangsheng, sous sa forme folklorique, connaît des hauts et des bas. Depuis la fondation de la République populaire de Chine, des écrivains, comme Lao She, ont aidé à intellectualiser le xiangsheng qui servait d’outil pédagogique auprès des Chinois. Mais dans les années 90, au moment où la pop culture avait la haute main dans l'empire du Milieu, le public était peu nombreux à fréquenter les théâtres de xiangsheng. En pleine crise, Guo Degang est entré dans l’arène. Il défendait les valeurs traditionnelles et prônait le retour à la source du xiangsheng : faire rire les spectateurs au lieu de donner des leçons. La stratégie a fonctionné. Depuis 2004, l’atelier Deyun apparaît régulièrement dans les émissions télévisées, séduisant un nouveau public et donnant une nouvelle impulsion à cet art traditionnel.

Guo Degang, co-fondateur de l'atelier Deyun © Douban

…fait polémique

« Le phénomène de Déyúnnuhái révèle-t-il le déclin ou la renaissance du xiangsheng ? » C’est l’un des sujets débattu lors du Championnat du débat sinophone en 2019 à Pékin. Les uns soulignent le succès commercial et la starification sans précédent de certains comédiens de xiangsheng alors que d’autres s’inquiètent qu’à l’ère de la « la culture des fans » – marqué par le culte du corps et de la beauté – les talents ne soient pas appréciés à leur juste valeur et de risquer un appauvrissement dans ce milieu.

Ces craintes ne sont pas sans fondement : la « bulle Zhang Yunlei » a subitement explosé en 2019, suite à une série de polémiques. Ses blagues sur les grandes catastrophes naturelles ou ses allusions sexuelles ne passaient plus, créant un certain malaise chez le public et irritant les autorités.

À l’ère des réseaux sociaux, force est de constater que les fans actifs prennent de plus en plus de pouvoir dans la fabrication des célébrités et de l'opinion publique. Le secteur du xiangsheng n’échappe pas à ce nouveau diktat. Mais n'oublions pas qu'en tant qu'art traditionnel chinois, le xiangsheng prône avant tout le respect de l’autorité et de l’ordre hiérarchique. Dans l'empire du Milieu, allier tradition et modernité est à la mode, mais demeure une équation complexe et délicate.

Vidéo - La dernière représentation de l'atelier Deyun avant le nouvel an chinois 2020 :

Photo du haut : affiche publicitaire de l'atelier Deyun en 2019 © Weibo

*Atelier Deyun (德云社):co-fondé en 1995 par Zhang Wenshun, Guo Degang et Li Jing à Pékin, l’atelier Deyun est une entité hybride, qui est à la fois une école et une société de xiangsheng. Fort de ses 400 comédiens, l’atelier organise des milliers de spectacles à travers la Chine chaque année.

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