
Rencontre avec Liu Xiangcheng, l'un des architectes chinois à l’origine du « Jardin d'illusion » présenté au Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire
Dans le sillage d'un Wang Shu, l'architecte trentenaire vivant en France tente d'épouser tradition chinoise et architecture contemporaine, tout en soulignant la dimension urbaine et humaine dans la réalisation d'un projet. Sa dernière œuvre « Un jardin d'illusion » a été sélectionnée cet été par la 30e édition du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire. Rencontre.
« Un jardin d’illusion », aussi sobre qu'équivoque, est le résultat d’une quête spirituelle et philosophique de la place de l’homme enraciné dans l’espace et le temps.© Liu Xiangcheng
En Chine, les études d’architecture sont complexes. Elles combinent à la fois l'esthétique chinoise traditionnelle et les nouvelles tendances initiées en Occident. « Fondée par Liang Sicheng et ses camarades diplômés de l’Université de Pennsylvanie, l'architecture contemporaine chinoise s’inscrit dans la lignée du style Beaux-Arts américain, tant sur les idées que sur le cursus », nous explique Liu Xiangcheng, la voix posée et le sourire contagieux. Un métier de goût et de gestion du coût, d’art et de technique, d'expression de soi tout en ayant à cœur l’intérêt public… En tout cas, un métier qui nécessite une grande polyvalence au point que « dans une époque lointaine, certains architectes maîtrisaient même l’anatomie humaine », s’amuse le jeune homme, à la fois architecte, urbaniste et dessinateur à ses heures perdues.
Un parcours atypique
Né à Qingdao, ville côtière du Shandong, Liu Xiangcheng, fondateur de l’agence d’architecture Atelier-i, obtient une licence en urbanisme avant de poursuivre un master en architecture à l’Université Tongji et à l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Belleville. Architecte de 2015 à 2020, à Tongji Architectural Design Group, une des plus grandes agences d'architecture publiques en Chine, il se cherche, se construit, puis gravit les échelons, en s'investissant dans de nombreux chantiers d'envergure à travers la Chine, dont le Théâtre de Chifeng en Mongolie-Intérieure, le Marriott Hotel au Shanxi, ou encore la zone G de la base de Huawei à Shenzhen dans le Guangdong. « En cinq ans, j'ai piloté autant de projets qu'un architecte européen aurait fait en 20 ans », souligne-t-il, non sans fierté. Un bagage professionnel peu commun, dû notamment à l’urbanisme et l’immobilier galopant, qui, néanmoins, atteignent peu à peu ses limites en Chine.
La zone G de la base de Huawei à Shenzhen dans le Guangdong © Liu Xiangcheng
En pleine ascension professionnelle, il a choisi de quitter la célèbre institution shanghaienne, entamant en 2020 une nouvelle page de sa vie dans l'Hexagone, pour un master spécialisé en management urbain et immobilier à l’ESSEC. Une trajectoire « atypique », mais conçue avec soin. Le jeune architecte s’émancipe. Il voudrait se consacrer davantage à sa propre agence, avec des bureaux à Paris et à Shanghai, et contribuer à ses nouveaux projets en France grâce à son expérience. En témoigne sa dernière œuvre : « Un jardin d’illusion », qui fait partie des 24 jardins sélectionnés par la 30e édition du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire, ayant pour thème cette année le jardin idéal.
À la recherche du shanshui idéal
« Mon idéal à moi, serait forcément un shanshui idéal », confie l’architecte chinois, sans hésitation. Il n’a pas attendu le déclic pour lancer son projet. Le shanshui s'est imposé à lui. Le rapport entre les êtres humains et la nature, la vision de « l’homme et le ciel ne font qu’un », ou encore le mode de vie adopté par les sages et les poètes de l’antiquité qui se retirent du monde pour vivre dans les forêts et les montagnes… c’est tout cela qui désigne le terme shanshui en peinture chinoise. C’est ainsi qu’il représente les contours montagneux de son jardin par des filets de cordes, rendant hommage au tableau mythique de shanshui Huit vues des rivières Xiao et Xiang. Dans son jardin, les références culturelles chinoises sont nombreuses. On y trouve des bambous, incarnation végétale des lettrés chinois, ou encore la forme ronde du jardin, symbole de l'infini et de la divinité.
Pourtant, l’architecte ne veut surtout pas tomber dans une forme d'auto-orientalisme. C’est avant tout un jardin qui brouille les frontières, entre réalité et imaginaire, Orient et Occident, hommes et nature. Loin d’être une simple accumulation d’emblèmes culturels de la Chine, « Un jardin d’illusion », aussi sobre qu'équivoque, est le résultat d’une quête spirituelle et philosophique de la place de l’homme enraciné dans l’espace et le temps. Entre ombre et lumière, visible et invisible, réel et irréel, il réserve son lot de surprises à ses visiteurs, en les interrogeant sur leur propre existence en constante évolution. Un sujet vaste mais universel. « Un bon jardin est l'œil de la terre. En le regardant, nous pouvons savoir qui nous sommes vraiment. » Une observation de Wang Bowei, chercheur et professeur d'université de Liu Xiangcheng, qui a sans doute marqué les esprits de son ancien élève.
S'approprier le passé pour dialoguer avec le présent
L'architecte, mi-artisan mi-artiste, tente de conjuguer la tradition chinoise et l'architecture contemporaine, prônant humanisme, résilience architecturale et pureté originelle dans ses œuvres. Une démarche qui s'inscrit dans le sillage, au propre comme au figuré, d'un certain Wang Shu, premier architecte chinois à remporter le prix Pritzker en 2012 et qui a signé le premier jardin chinois : « Le Jardin des nuées qui s'attrapent », dans le cadre du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire il y a dix ans. « Iconoclaste, Wang Shu, connu pour ses réflexions critiques sur l'architecture chinoise, marque une rupture en puisant ses racines dans le savoir-faire constructif traditionnel chinois. » Si Liu ne cache pas son admiration pour l’architecte chinois le plus connu dans le monde, il voue avant tout un culte à Feng Jizhong(1915 -2009, architecte légendaire et créateur du pavillon Helouxuan en 1986 à Shanghai).
Le pavillon Helouxuan. Dr.
Feng, ancien camarade de Ieoh Ming Pei à Shanghai, a eu l’audace d’allier des matériaux traditionnels et une structure résolument moderne, voire révolutionnaire, en créant ce pavillon, qui, peu connu sur la scène internationale, marque pourtant l’apogée de l’architecture chinoise. Pour Liu, « Feng Jizhong essaie de s'approprier le passé pour saisir son tempérament et son caractère les plus authentiques, afin de mieux dialoguer avec le présent. » Un enseignement fructueux qu'il a sans doute tiré pour mieux réussir la création de son propre jardin.
Ouvrir le champ des possibles
Depuis peu, une nouvelle génération d’architectes chinois, dont fait partie Liu Xiangcheng, émerge sur la scène internationale. Dans la liste des 58 favoris du Prix Pritzker 2021 publiée par le site d'informations en architecture ArchDaily, figurent huit architectes chinois, dont Ma Yansong, premier Chinois à avoir obtenu une commande d'importance à l'étranger. Si l'architecture chinoise est en plein renouveau, des bâtiments dits “laids” se voient pourtant propulsés, à un rythme sans précédent, sur le devant de la scène médiatique. Au point que le très sérieux concours annuel du bâtiment le plus laid trouve chaque année un fort écho auprès du grand public chinois. Deux phénomènes contradictoires ? Pas vraiment si l'on en croit l'analyse de Liu Xiangcheng, pour qui les controverses provoquées par certains projets architecturaux, jugés “moches”, montrent au contraire une forte prise de conscience et une grande sensibilité esthétique chez les Chinois d’aujourd’hui.
Le Théâtre Sunac de Guangzhou © Site d'internet du groupe Sunac
Ainsi en 2020, le Théâtre Sunac de Guangzhou a été élu, à l’unanimité par un jury composé d’architectes, chercheurs et critiques d’architecture, le bâtiment le plus laid en Chine. Conçue par l’agence londonienne Steven Chilton Architects, cette œuvre en rouge, censée rendre hommage à la route de la soie, est devenue la risée d’Internet. Un fiasco qui en dit long sur les bouleversements socio-économiques d’une société chinoise en pleine mutation, entre admirations vouées aux architectes occidentaux et quête perpétuelle d'identité culturelle. Depuis les années 1990, la Chine, marquée par une urbanisation accélérée, ouvre ses bras aux agences d'architecture internationales, véritables façonneuses de villes modernes dans l’empire du Milieu. Nombreuses sont les régions qui voudraient se doter d'un bâtiment iconique et phénoménal, quitte à heurter l'opinion publique. Mais cette architecture canard ne passe plus aujourd'hui. En témoigne justement le rejet général du Théâtre Sunac de Guangzhou. « Aujourd’hui, il y a une prise de conscience esthétique des Chinois et une plus grande maturité chez les professionnels locaux », juge Liu. Ainsi un nouveau champ des possibles s’ouvre davantage devant un architecte comme lui, qui s’affaire déjà autour d’un projet situé dans l’ouest de la Chine.
PORTRAIT CHINOIS DE LIU XIANGCHENG :
Thé ou café ?
Café. C’est plus efficace. Je ne peux pas m’en passer.
Quels sont vos principaux traits de caractère ?
Perfectionniste au travail. Déterminé. Je suis aussi quelqu'un qui a le sens de l'organisation.
Qu'est ce qui vous satisfait le plus dans votre métier ?
Le moment où mon client valide le compte-rendu d'un projet, surtout au bout d'une longue période de travail, de tâtonnements et d'incertitudes.
Que faites-vous pour vaincre l'angoisse ?
Faire du sport ou se balader en ville.
Quels sont vos quartiers préférés de Paris ?
Le quartier des Halles et le Marais.
Quelle est votre nourriture préférée ?
Raviolis au poisson faits par ma mère.
Un bon restaurant chinois à Paris à recommander ?
La Fondue Dragon dans le 1er arrondissement.
Vous faites salon. Qui invitez-vous ?
La famille de ma grande sœur, qui habite en banlieue parisienne.
Quel est votre livre préféré ?
Ville et population : une histoire sociale et architecturale, écrit par l'Américain Mark Girouard.
Qu'est-ce que vous avez fait de plus fou dans votre vie ?
Démissionner de Tongji Architectural Design Group et venir en France en pleine pandémie fin 2020 pour reprendre des études.
Quel est le geste écologique que vous pratiquez ?
Je conduis peu, préférant le vélo et le transport en commun.
Votre devise dans la vie ?
Notre taille détermine notre perception du monde.
Photo du haut © Liu Xiangcheng
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