
Les Hakka au Pérou : l'histoire méconnue d'une communauté chinoise qui a transformé la culture locale
2024 marque le 175e anniversaire de l’arrivée officielle des premiers immigrants chinois au Pérou. À Callao, port péruvien, se dresse un monument commémorant leur arrivée, il y a 175 ans, en 1849. Parmi eux, de nombreux Hakka, issue d’une ethnie éponyme du sud de la Chine.
La sinologue péruvienne Patricia Marina Castro Obando, enseignante à la faculté de sciences politiques et relations internationales de l’Université catholique du Pérou, a porté un grand intérêt à la culture hakka. Elle leur a consacré sa thèse de doctorat et a publié un ouvrage intitulé La communauté invisible : les Hakka au Pérou. Elle a partage ici son analyse sur leur évolution de communauté invisible à une présence visible et intégrée.
Les Hakka : une contribution à la diversité culturelle du Pérou
Castro Obando se souvient qu’il y a plusieurs années, un professeur chinois lui a posé des questions sur les Hakka au Pérou. Ce fut la première fois qu’elle entendit parler de ce groupe. Cette rencontre marqua le début de sa découverte de l’histoire et de la culture des Hakka, pour lesquels elle développa une véritable fascination.
Au fil de leur histoire millénaire, les Hakka ont migré du nord de la Chine vers le sud, puis vers diverses régions du monde. À travers ses recherches, Castro Obando a identifié cinq grandes caractéristiques des Hakka :
Premièrement, les Hakka ont effectué de nombreuses migrations au cours de leur histoire. Ces expériences leur ont forgé un caractère résilient et une grande capacité d’adaptation, en particulier dans des conditions défavorables.
Deuxièmement, la structure familiale et sociale des Hakka est marquée par une forte cohésion et un esprit de solidarité. Cette caractéristique se reflète dans leurs habitations traditionnelles, les tulou. Ces maisons rondes, conçues pour accueillir de grandes familles, offrent une excellente protection contre les menaces extérieures.
Troisièmement, les Hakka se distinguent par leur diligence au travail et leur quête de progrès à travers l’éducation. Ces deux éléments combinés forment les piliers essentiels du développement familial et social.
Quatrièmement, bien qu’ayant subi de nombreuses migrations, les Hakka ont préservé leur patrimoine culturel, notamment leur langue, leur musique, leur gastronomie et leurs traditions. Ces éléments constituent le socle de leur identité culturelle.
Cinquièmement, en tant que communauté chinoise intégrée dans de nouveaux environnements sans renier son identité, les Hakka ont contribué à enrichir la diversité culturelle locale.
En 1849, les premiers immigrants chinois, parmi lesquels figuraient des Hakka, ont quitté la province du Guangdong pour le Pérou. Les archives mentionnant les Hakka sont rares. La première vague concernait principalement des ouvriers chinois venus au Pérou pour travailler dans les plantations agricoles, les exploitations de guano et la construction d’infrastructures. La deuxième vague, qui débuta en 1874, coïncida avec la signature du Traité d’amitié, de commerce et de navigation entre la Chine et le Pérou. Cette période marqua le passage d’une immigration majoritairement ouvrière à une immigration commerciale.
Au début du XXe siècle, la troisième vague d’immigration chinoise est causée par des restrictions imposées par les États-Unis et le Canada. Ces mesures ont contraint de nombreux travailleurs chinois à se tourner vers d’autres pays d’Amérique latine. Ces migrants, appelés chinos californianos (Chinois de Californie), comprenaient également des commerçants hakka.
« Au départ, cette communauté était invisible au Pérou. La société péruvienne ne cherchait pas à distinguer et identifier les différents groupes au sein de la grande communauté chinoise immigrée. » explique Castro Obando.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la visibilité des Hakka s’est progressivement affirmée avec la création de l’association hakka Tong Sing Hui Koon au Pérou, ainsi que des temples dédiés à leur culture. Par la suite, le rôle clé de Xie Baoshan (Aurelio Pow San Chia), un leader et entrepreneur d’origine hakka, a été déterminant dans cette évolution. Établi au Pérou à la fin du XIXe siècle, il est devenu un acteur majeur non seulement pour la communauté hakka, mais pour l’ensemble des Sino-Péruviens.
« Pourquoi l’histoire de Xie Baoshan est-elle si marquante ? Parce qu’il a su devenir un leader malgré le racisme sévère qui régnait au Pérou à cette époque. » souligne Castro Obando. Dans la communauté chinoise, Xie Baoshan a réussi à unifier des groupes issus de différentes régions pour en faire une communauté solide. Visionnaire, il était respecté bien au-delà de la communauté chinoise et a joué un rôle actif dans la société péruvienne, notamment en construisant des écoles et en promouvant la culture chinoise.
En 1921, en reconnaissance de ses actions, le gouvernement péruvien lui a décerné l’Ordre du Soleil (Orden del Sol), une distinction prestigieuse réservée aux personnalités exceptionnelles.
Grâce à leur fort sentiment d'identité culturelle et d'appartenance ethnique, les Hakka et leurs descendants ont contribué à la préservation et à la diffusion de la culture chinoise au sein de la société péruvienne. Cela a favorisé une meilleure compréhension mutuelle entre les deux cultures et renforcé l'identité multiculturelle du Pérou.
Castro Obando mentionne également Julia Wong Kcomt, une poétesse hakka célèbre au Pérou, décédée cette année. Descendante des Hakka, elle est considérée comme l’une des poétesses les plus emblématiques de la communauté chinoise péruvienne. Ses poèmes, empreints de beauté, comportent des éléments et des traces de la culture hakka.
L’intégration de la culture hakka dans la société péruvienne
La culture chinoise s’est intégrée dans la société péruvienne de diverses façons.
Les Hakka du Pérou ont collaboré avec des chefs locaux et des propriétaires d’auberges pour promouvoir des recettes et des méthodes de cuisson traditionnelles hakka, adaptées aux ingrédients locaux. Cela a contribué à l’émergence du chifa, fusion entre la cuisine chinoise et péruvienne. Aujourd’hui, le terme chifa désigne les restaurants chinois au Pérou.
Pour Castro Obando, la cuisine chinoise, en particulier la cuisine cantonaise, est essentielle pour comprendre la gastronomie péruvienne contemporaine. Les éléments de la cuisine cantonaise, notamment les ingrédients, les techniques de cuisson et les plats nouveaux, enrichissent la gastronomie péruvienne. Parmi les chefs cantonais présents au Pérou, de nombreux sont hakka.
Elle cite deux restaurants hakka emblématiques au Pérou : le Restaurante TiTi, l’un des plus anciens restaurants hakka du pays, probablement le premier, est un exemple de l’intégration des plats chinois, notamment hakka, dans la cuisine péruvienne ; le Restaurante Hakka, ouvert en 2018 ou 2019, spécialisé dans la cuisine hakka, devenu l’un des restaurants chinois les plus connus du Pérou. « La cuisine hakka est un peu plus grasse que la cuisine cantonaise, probablement parce que les Hakka viennent des régions montagneuses. Les habitudes alimentaires sont souvent liées au climat et aux ingrédients disponibles. La cuisine hakka est également plus relevée que la cuisine cantonaise. »
Les Hakka du Pérou continuent de célébrer les fêtes traditionnelles chinoises, telles que le Nouvel An chinois. Ils préservent également leurs croyances spirituelles, notamment le culte de Guan Gong, une divinité chinoise, vénérée dans leurs associations. Fait intéressant, dans ce pays majoritairement catholique, les Péruviens montrent un grand respect pour les temples hakka.
« Les Péruviens se rendent dans les temples hakka pour honorer San Acon, qui est en réalité Guan Gong », observe Castro Obando. Ces temples attirent des visiteurs venus apprendre le feng shui et la divination.
Sur le plan économique, les Hakka ont établi un réseau allant de petites entreprises et commerces familiaux à des chaînes d'import-export reliant des ports tels que Hongkong et Callao.
En évoquant la diffusion de la culture chinoise à l’international, Castro Obando souligne l’importance de non seulement éveiller l’intérêt du public, mais aussi d’élaborer des stratégies adaptées. Elle insiste sur la nécessité de créer des points de convergence pour renforcer les liens interculturels. Selon elle, la gastronomie peut servir de pont pour promouvoir les échanges culturels. Par exemple, intégrer des éléments de la culture péruvienne dans les activités des centres culturels locaux pourrait favoriser une meilleure compréhension mutuelle. Par ailleurs, elle propose d’exploiter les outils numériques pour raconter des histoires illustrant la résilience et l’identité des Chinois, tout en mettant en avant la diversité de la culture chinoise.
Avec les migrations des Hakka, la culture chinoise s’est diffusée à travers le monde. En revenant sur l’évolution des Hakka au Pérou, de communauté invisible à visible, Castro Obando conclut : « Dans un monde globalisé, une culture gagne en reconnaissance lorsqu’elle dialogue avec d’autres cultures. »
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Commentaires