
[Internet du Milieu] « Tangping », entre désillusion et autodérision, la jeunesse chinoise « s'allonge » pour vivre autrement
Tous les quinze jours, la rédaction décortique pour vous un phénomène social ou culturel à travers le jargon de l’Internet chinois. Au menu cette semaine : tang ping, ou « rester allongé », la nouvelle philosophie de vie adoptée par une partie de la jeunesse chinoise, désabusée par le rythme effréné du travail et l'inégalité sociale.
« Je
voudrais vivre dans un tonneau comme le philosophe grec Diogène de Sinope pour
profiter pleinement du soleil, ou habiter dans une caverne comme Herclite pour
réfléchir sur le logos. Alors que sur
cette terre, il n'y a pas de courant de pensée qui rende hommage à l'homme,
j’en ai donc créé un : tang ping est
ma philosophie, dans lequel l'homme est la seule mesure de toute chose », a
écrit le 17 avril un certain Voyageur Bienveillant sur un forum de discussion
hébergé par Baidu. Le message, devenu viral sur le web chinois, a trouvé un
écho retentissant auprès de la jeunesse dans l'Empire du milieu. Tang ping 躺平,
« rester allongé », composé de tang 躺,
« s’allonger », et ping 平,
« plat », désigne un mode de vie aussi simple que libre, loin des pressions
imposées par la famille et la société.
Luo Huazhong, le vrai nom de Voyageur
Bienveillant, est un trentenaire vivant dans le Zhejiang. Cet ancien élève
décrocheur travaillait dans des usines avec des horaires de travail de 12
heures par jour avant de vivre de petits boulots. Il mène une vie jugée idéale
par beaucoup de ses contemporains : lire des livres de philosophie, s’informer,
faire du sport et réfléchir librement. «
Toute notre vie, on doit se soucier
d’avoir une maison et un travail qui puissent correspondre à un certain modèle
familial traditionnel. J’ai horreur de ça », déclare-t-il en répondant à un
internaute.
Dans une société où l'éthique confucéenne
du travail est très ancrée, le concept tang
ping choque, surtout les générations précédentes. « Si tous les jeunes s'allongent, quel sera le futur de notre pays ?
» a déploré Yu Minhong, fondateur du groupe spécialisé en éducation New
Oriental. Li Fengliang, professeur de l'Université de Tsinghua, est allé
jusqu'à condamner violemment les disciples du tang ping en les comparant à des « irresponsables vis-à-vis de leurs parents et de tous les contribuables
».
Le phénomène tang ping est loin d’être nouveau. Il nous rappelle le mode de vie foxi 佛系, « en mode zen », un terme familier qui qualifie un certain état d'esprit de détachement que beaucoup de jeunes revendiquent — plus par autodérision qu'avec sérieux. Un défaitisme qui ne dit pas son nom, incarné parfaitement par les sanhe dasheng 三和大神, « Seigneurs de Sanhe », ces milliers de jeunes travailleurs migrants (mingong en chinois), vivant au jour le jour dans la banlieue nord de Shenzhen.
Avant tang
ping, une autre expression, nei juan
(内卷), avait envahi l’Internet chinois. Ce terme décrit
tout ce qui peut justifier l’attitude tang
ping, à savoir les dérives de la concurrence exacerbée et les situations
teintées de régression de la vie quotidienne.
« Pendant
plus de quarante ans, la Chine a bénéficié d’une croissance vertigineuse. Tout
le monde a réussi à prendre des parts du gâteau économique. Mais aujourd’hui,
notre développement arrive à un plafond de verre et rien que pour avoir un
petit morceau du gâteau, il faut que les jeunes d’aujourd’hui fassent plus
d’efforts que leurs aînés », explique le Quotidien du Peuple sur la désillusion et le désarroi de la
jeunesse chinoise.
Soucieuses de ce problème, les autorités
chinoises ont déjà pris des mesures pour faire face aux risques : répression de
la spéculation immobilière, nouveau règlement sur les soutiens scolaires et
pressions sur les plateformes numériques pour améliorer la protection sociale
des salariés... Mais sans réformes fondamentales, ces mesures vont-elles
suffire ?
Chanson : "tang ping est la vérité"
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